ASSE - De la fièvre verte à la caisse noire
Dans le cadre des 90 ans de l’ASSE nous revenons sur les différentes périodes qui ont fait son histoire. Après avoir évoqué la création du club, la première grande domination de l'ASSE sur le football français, l'arrivée d'Herbin à la tête de l'équipe et les deux années mythiques de 1975 et 1976, l’apparition de la première étoile sur le maillot, nous revenons aujourd’hui sur l’affaire de la caisse noire.
En 1981, l’ASSE a donc retrouvé son prestige avec un dixième titre, beaucoup s’en réjouissent, et pas seulement pour des raisons sportives. Nous sommes dans une période où les difficultés économiques s’amplifient dans la région stéphanoise comme partout ailleurs. Les mines sont en voie de disparition totale, Manufrance a déposé le bilan, et le tissu industriel s’effrite chaque année. Saint-Étienne ne sera plus pour très longtemps, la capitale des cycles et des armes. La ville va devoir entrer dans une phase de mutation qui va progressivement changer la vie des Stéphanois. L’ASSE est l’une des rares entreprises qui garde le cap. La fabrication et la distribution des innombrables produits dérivés qu’elle génère font le bonheur de beaucoup d’industriels. Chaque grand rendez-vous européen était prétexte à des invitations, des contacts commerciaux et professionnels autour du match.
L’effectif de la saison 1981-82 qui s’annonce, restera plutôt stable. Deux départs notables par contre, celui de Jacques Santini, l’un des derniers de Glasgow avec Lopez et Janvion. Il rejoint Montpellier après 12 années de fidélité. Il reviendra bien plus tard sous une autre casquette. Un autre Jacques fait ses valises. Zimako, il signe au FC Sochaux-Montbéliard. Coupe du Monde 82 oblige, l’intersaison sera un peu raccourcie et dès le 26 août, c’est devant une petite chambrée que l’ASSE dispute son 41ème match de Coupe d’Europe des clubs champions. C’est encore une écurie allemande, le Dynamo de Berlin, qui se présente, mais de l’autre Allemagne, celle de l’Est, la RDA. Il s’agit d’un tour préliminaire, il sera fatal aux Stéphanois. Match nul à la maison (1-1), au cours d’une rencontre que n’oubliera pas Christian Lopez, auteur des deux buts. Suivra une défaite à Berlin (0-2), c’était le 1er septembre 81, date du dernier rendez-vous des Verts en C1, il y a 42 ans.
Le championnat devient la priorité absolue. L’ASSE espèrera jusqu’à la dernière journée remporter un onzième titre. Il fallait pour cela cartonner sévèrement le FC Metz à Geoffroy-Guichard et qu’en même temps, le leader Monaco, trébuche à domicile devant Strasbourg. La première partie du contrat sera remplie grace à une victoire stéphanoise écrasante (9-2), avec les doublés de Platini, Larios et Millot, et des buts de Zanon, Paganelli et Battiston. À Louis II Monaco ne trébuchera pas. Une courte victoire face à Strasbourg (1-0) et le club de la principauté remportera son quatrième titre avec un seul point de plus que Saint-Étienne.
La Coupe de France aurait pu être une belle consolation mais, pour la deuxième saison consécutive l’ASSE sera battue en finale et cette fois, c’est le PSG qui remportera le trophée. Cruel scénario qui fera de cette rencontre, un évènement mémorable pour les Parisiens. Platini après avoir égalisé donnait l’avantage aux Verts au cours des prolongations, mais l’Ange Vert Rocheteau, passé dans le camp d’en face, arrachait le match nul à la 119ème minute, sur un but très ressemblant à celui qu’il avait marqué contre Kiev. Pour la première fois une finale de Coupe avait recours aux tirs au but. C’est Christian Lopez, sixième tireur qui ne transformera pas le sien. C’était son dernier ballon joué sous le maillot vert. Tout comme Platini, il quittera le club durant l’intersaison. Il s’agit du premier trophée remporté par le PSG, alors entrainé par un ancien vert, Georges Peyroche. Le sympathique président parisien, Francis Borelli, fêta cet évènement en s’agenouillant pour embrasser la pelouse du Parc.
Malgré un bon parcours sportif, l’ambiance au sein du club n’est pas au beau fixe. Herbin et Rocher ne se parlent pratiquement plus. Si l’atmosphère est devenue irrespirable c’est en grande partie, pour certains, à cause de l’attitude du président qui se comporterait en dictateur, ramenant tout à lui, méprisant toutes les autres composantes qui n’ont plus droit au chapitre. Il a intronisé Ivan Curkovic à un poste, mal défini, sur les plates-bandes d’Herbin et Garonnaire. Il ne devait rendre des comptes qu’au président. Larios et Platini sont également brouillés pour des problèmes extra-sportifs, sans que cela n’altère leur rendement respectif sur le terrain. Beaucoup penseront qu’il s’agit d’un poisson de mauvais goût, quand est révélée dans la presse régionale et sur Europe N°1, le 1er avril 82, une affaire qui sera baptisée « affaire Rocher ». Elle est déclenchée avec pour prétexte au départ, l’accord passé avec une société américaine Mc Cormack, groupe de marketing, événementiel ou de management sportif, qui n’est pas du goût de tout le monde. Il est demandé discrètement au président, de se retirer «honorablement» ce qu’il refuse catégoriquement. Au cours du conseil d’administration qui suit, le 5 avril, un millier de supporters, qui lui sont favorables, piaffent d’impatience à l’extérieur, ainsi que de nombreux médias. Le boss fait amende honorable et s’engage à plus de démocratie. Du coup aucun vote n’aura lieu, Roger Rocher reste à son poste et se réjouit de sa victoire.
C’est alors qu’une rumeur se fait jour au sein du conseil d’administration. Elle révèle l’existence d’une cagnotte secrète, alimentée par des revenus occultes. Avant qu’elle soit rendue publique, le président Rocher et ses principaux lieutenants démissionnent. C’est désormais « l’affaire de la caisse noire ». Elle aurait permis de payer, sous la table, une partie des salaires des joueurs, qui faisaient ainsi des économies d’impôts. Du coup, l’ASSE pouvait engager ou conserver les meilleurs en résistant aux propositions de clubs plus huppés. Deux avocats, membres du conseil d’administration Me Buffard et Me Fieloux assurent l’intérim, ce dernier devenant seul président peu après. L’ambiance autour de cette affaire est devenue détestable. Robert Herbin retrouvera un jour, dans sa maison dévastée, ses chiens morts empoisonnés. Il avouera en avoir pleuré. L’affaire de la caisse noire est désormais entre les mains de la police. Le président reconnaitra l’existence de cette tirelire occulte, non sans avoir fait disparaitre auparavant certains documents dont on ignore la teneur. L’enquête permettra d’apprendre que deux hommes politiques stéphanois avaient également bénéficié du pactole pour financer leurs campagnes électorales ou activités politiques. M. Durafour ancien maire et ministre et M. Neuwirth, député, rembourseront aussitôt les sommes perçues. Robert Herbin et Jean-François Larios seront les premiers à reconnaitre avoir touché des «dessous de table».
Roger Rocher ainsi que plusieurs membres du conseil d’administration sont mis en examen, inculpés disait-on à l’époque. Une assemblée générale est organisée au Palais des Sports de la ville. Elle durera toute la journée du 5 décembre 82, près de 2 000 personnes sont présentes. Elle tourna au pugilat quand la faillite de la SFTP, l’entreprise personnelle de «l’homme à la pipe» est mise sur le tapis. Un nouveau président est élu, Pierre Fourneyron, favorable au camp Rocher. Faute de réunir une majorité il démissionnera deux jours plus tard et, c’est Paul Bressy, autre «Rochériste» qui prend le poste. Moins d’un mois après, le 9 janvier 83, il licencie Robert Herbin et Bernard Gardon son second. Guy Briet, un adjoint, assurera l’intérim jusqu’à la fin de la saison. La municipalité est soupçonnée d’être à l’origine de ces licenciements.
Le 3 mai, Paul Bressy est remplacé par un autre industriel de la région, complètement étranger à cette affaire, André Laurent, qui occupera la présidence de l’ASSE dix années durant.
En novembre 83, accusé également d’enrichissement personnel, Roger Rocher, rejoint son ex-adjoint, Louis Arnaud écroué depuis une semaine, à la prison St Paul de Lyon. Il y restera quatre mois, Louis Arnaud un seul. Côté joueur, Lopez, Larios, Lacombe, Janvion, Piazza, Noguès, Farison, Platini et Herbin sont tous inculpés d’abus de bien sociaux et de confiance. Ils ont déjà tous régularisé leur situation fiscale.
Ce n’est qu’en 1990 soit huit ans après sa révélation que l’affaire de la caisse noire sera jugée. On apprendra que cette tirelire existait, parait-il, depuis les années 50. Roger Rocher n’aurait fait que la développer. Il écopera de 4 ans de prison dont 30 mois avec sursis et de 200 000 francs d’amende. Un an après, le procès en appel lui évite la prison, mais multiplie son amende par quatre. Les joueurs concernés écopent de quatre mois de prison avec sursis plus une amende. Les dirigeants de un à trois ans avec sursis. Un mystère demeure cependant, et il est de taille. On ne sait pas où est passée la somme de 5,8 millions de francs (près de 900 000 euros) qui a disparu sans justificatif. Quelques autres caisses noires vont être révélées par la suite, presque dans l’anonymat. On peut même se demander s’il existait un seul club qui n’en avait pas.
M. Roger Rocher a été gracié en octobre 1991 par le président François Mitterrand. Il se réconciliera peu après avec Robert Herbin, à l’initiative de ce dernier. On les reverra côte à côte au jubilé du président, organisé en 1992, dans le stade de l’Olympique de Saint-Étienne qui porte son nom.
Revenons au football. La saison 82-83 en pleine crise de la caisse noire sera celle de l’après Platini. L’équipe de France vient de réussir une exceptionnelle Coupe du Monde en Espagne, en ne s’inclinant qu’en demi-finale aux tirs aux buts. Cette rencontre, contre l’Allemagne, est aujourd’hui encore, considérée comme l’une des plus belles de l’histoire du Mondial. Malheureusement l’ASSE va en être une victime collatérale. Elle devra se passer plusieurs semaines de Patrick Battiston qui soigne les séquelles de la scandaleuse agression dont il a été victime de la part du gardien allemand Harald Schumacher. Christian Lopez est parti à Toulouse, laissant Gérard Janvion comme dernier rescapé de Glasgow. Côté arrivées on n’a pas lésiné sur les moyens avec les renforts de trois internationaux. Le n°10 Genghini de Sochaux, les défenseurs Mahut de Metz et Moizan de Lyon.
La Coupe d’Europe n’encombrera pas trop la saison. Après une qualification sans trop de difficulté face aux illustres inconnus hongrois de Tatabanya (4-1 et 0-0), l’ASSE sera balayée (0-4) à Prague par les Bohémians qui avaient ramené, à l’aller, un nul de Geoffroy-Guichard (0- 0). Ce ne sera pas mieux en Coupe de France. Après avoir sorti Auxerre au premier tour, ce sera une élimination indigne en 1/16ème contre Martigues, équipe de D2. C’était encore, un échec aux tirs au but, dans le Chaudron celui-là, après un succès (3-0) qui rattrapait une incroyable défaite sur le même score, lors de la première manche en Provence. Cette première saison sans Platini, toujours polluée par les évènements, sera synonyme de dégringolade. L’ASSE terminera 14ème, le plus mauvais classement des 20 dernières années. Le départ de Robert Herbin sonnait la fin de la plus belle page de l’histoire verte, le livre était définitivement refermé. Il ne restait plus au peuple vert, que l’espoir de revivre très vite des jours meilleurs, mais on n’avait pas encore tout vu... et ça c’est une autre histoire que nous vous raconterons la semaine prochaine.
Publiés tous les jeudis, retrouvez l’ensemble de nos épisodes sur la grande histoire de l’ASSE :
đ Retrouvez le premier épisode de cette mini-série (1933-1960)
đ Retrouvez le second épisode de cette mini-série (1961-1970)
đ Retrouvez le troisième épisode de cette mini-série (1970-1974)
đ Retrouvez le quatrième épisode de cette mini-série (1975-1976)
đ Retrouvez le cinquième épisode de cette mini-série (1976-1981)