1970-1974 : Un débutant nommé Herbin

Histoire | Publié le par Jacky | 11 commentaires

Dans le cadre des 90 ans de l’ASSE nous revenons sur les différentes périodes qui ont fait son histoire. Après avoir évoqué la création du club et la première grande domination de l'ASSE sur le football français, nous parlons aujourd’hui de la période 1970-1974 avec l'arrivée d'un "débutant" nommé Herbin...

Nous sommes à l’aube de la saison 1970-71. Aucun club ne semble en mesure de contrarier l’AS Saint-Étienne dans la conquête de son cinquième titre consécutif. Maintenant il faut viser plus haut. Ce que l’on attend désormais, ce que l’on espère, c’est qu’enfin, les hommes d’Albert Batteux représentent dignement le football hexagonal, dans les compétitions européennes. Le récent exploit face au Bayern de Munich avait fait naitre beaucoup d’espoirs, mais, justement, il ne s’agissait que d’un exploit, et il était resté sans suite. Personne à l’époque, ne comprend pourquoi le football français, qui possède d’excellents joueurs, est inexistant en dehors de ses frontières. Cette infériorité chronique, ne concerne pas que les clubs. Une coupe du monde passionnante vient de s’achever au Mexique. Eliminés par la Suède, nos internationaux, l’ont suivie devant leur téléviseur.

On ne change pas un effectif qui gagne. Aucun renfort de poids n’a rejoint le Forez à l’intersaison. Par contre, deux absences de marque dans le groupe. Tout d’abord celle d’Aimé Jacquet qui s’annonce être de longue durée. Victime d’une rupture du tendon d’Achille, il y a peu de chance de le voir fouler les pelouses au cours de l’exercice qui s’annonce. L’autre absence, celle de Roland Mitoraj, est définitive. Après 12 années de bons et loyaux services, la trentaine arrivée, il a quitté le club pour rejoindre le naissant Paris SG. La formation commence à porter ses fruits. Quelques jeunes pousses, vont de temps en temps apparaitre en équipe une. Ils ont pour noms, Synaeghel, Repellini, Merchadier, Sarramagna et Patrick Revelli le petit frère d’Hervé.


On saura très vite que pour assister à un beau parcours en Coupe d’Europe il faudra encore patienter. Dès le mois de septembre, Cagliari, le champion d’Italie, et son canonnier Gigi Riva, boutent les Stéphanois hors de la compétition. La victoire étriquée des Verts à la maison (1-0) étant insuffisante pour compenser la gifle reçue à l’aller (0-3). Les Transalpins seront éliminés dès le tour suivant par l’Atlético de Madrid.

Le championnat, cette fois, est bien plus disputé. L’ASSE, à la lutte avec Marseille, parvient à reprendre la tête à la 25ème journée. Le cinquième titre consécutif est en vue, quand éclate dans la presse une affaire de grande ampleur, qui va impacter irrémédiablement le classement et pire encore, mettre fin à la première suprématie stéphanoise. Sont en cause, deux joueurs cadres du club, Georges Carnus et Bernard Bosquier. Ces deux pièces maitresses de la défense verte, furent accusées d’avoir convenu avec l’OM, avant la fin de l’exercice en cours, un accord qui prévoyait leur arrivée dans la cité phocéenne, dès la saison suivante. Roger Rocher, qui semble découvrir l’affaire dans les journaux, accuse son sulfureux homologue marseillais, Marcel Leclerc de vouloir déstabiliser l’effectif stéphanois et dénonce la méthode. Dans un premier temps il ne discrédite pas les deux joueurs mais le nouveau système mis en place, nous y reviendrons. Alors que la crise prend de l’ampleur, l’ASSE qui compte trois points d’avance, reçoit Bordeaux à huit journées du terme. Les Girondins ont effectué un parcours quelconque et n’ont plus rien à espérer, ni à craindre. Côté stéphanois, l’élimination en Coupe contre le voisin lyonnais (0-3) au match retour, après avoir gagné l’aller (2-0) a refroidi joueurs et supporters, mais c’est du passé. Le championnat devient la seule priorité. C’est une véritable déflagration qui va se produire. Dans un Geoffroy-Guichard très peu garni, l’ASSE s’incline (2-3) après avoir mené (2-0). Cruelle coïncidence la défense, et en particulier, Georges Carnus, n’est pas exempt de tous reproches. C’en est trop pour le président Rocher, qui vire les deux joueurs du club le soir même, contre l’avis de leurs coéquipiers et surtout de l’entraîneur Albert Batteux. Ce dernier a vainement tenté de prévenir le boss sur les conséquences néfastes qu’entrainerait cette décision. Il ne se trompait pas, l’ASSE allait enchainer les contre-performances pendant que l’OM réalisait une bonne fin de parcours. Les Marseillais remportaient leur troisième titre de champion qu’ils attendaient depuis…23ans.


Comment en est-on arrivé là ?

Il faut rappeler que les réformes instaurées après la guerre, donnaient aux clubs, un droit de propriété absolu sur les joueurs qu’ils engageaient, et ce, jusqu’à l’âge de 35 ans ! On parle alors de « contrat à vie », Raymond Kopa parlera d’esclavage ! Pour quitter un club, il fallait l’accord du président. En 1969 le syndicat des joueurs obtient la mise en place, à l’essai pour deux saisons, du « Contrat à temps », sorte de CDD. Cela signifiait qu’à la fin de chacune de ces saisons « tests », un joueur était libre et pouvait donc partir s’il le souhaitait. Georges Carnus s’estimant dans son bon droit, ne démentira pas les révélations de la presse. Il considère qu’il était normal qu’un footballeur pense à son avenir, en choisissant les meilleures opportunités qui se présente, comme n’importe quel autre travailleur. Certains affirmeront que Bernard Bosquier aurait tenté de négocier un nouveau contrat à l’ASSE, mais qu’il aurait été prié de se contenter de jouer et qu’éventuellement on verrait ça plus tard.
Pour la plupart l’honnêteté des deux intéressés n’est pas mise en cause. Ce qui est le plus choquant, aux yeux de l’opinion publique c’est que ce sont deux clubs à la lutte pour le titre (et pour l’unique place attribuée en C1) qui sont concernés. S’ils avaient envisagé un départ à Strasbourg ou à Lille il n’y aurait pas eu d’affaire. Cette situation inédite dans le football français entraina un grand débat dans le pays. On assistera même en direct dans le journal télévisé, à une confrontation en duplex entre les deux présidents, Rocher et Leclerc.
Pour conclure, il faut préciser qu’en 1972, les présidents de clubs voulurent faire marche arrière et décidèrent unilatéralement la suppression du « contrat à temps » pour revenir au « contrat à vie » ! Cela provoqua une grève immédiate des joueurs qui eurent finalement gain de cause. Une « chartre du football professionnel », comparable à une convention collective, sera rédigée en 1973. Côté sportif, la lutte fut également acharnée entre les deux attaquants vedettes de l’ASSE et de l’OM pour le titre de meilleur buteur de D1. Finalement le Yougoslave Josip Skoblar avec 44 buts devança le Malien stéphanois Salif Keita 42 réalisations. Le record alors en cours, du Nantais Gondet, qui était de 36 buts, était pulvérisé ! Des chiffres qui font rêver aujourd’hui.

L’intersaison qui va suivre en vue de l’exercice 71-72, verra une inhabituelle vague de départs. En plus des deux protagonistes de « l’affaire », Hervé Revelli trop concurrencé par Keita et Francis Camérini prenaient la direction de Nice où ils retrouvaient Jean Snella. Vladimir Durkovic filait à Sion en Suisse. La défense verte était décimée, et ce ne sera pas sans conséquence. Autre départ, Spasoje SamardĹľić, excellent technicien mais qui a peu joué car souvent blessé. La première C3 disputée par les Stéphanois ne sera pas une réussite. Élimination d’entrée par les Allemands du FC Cologne qui seront sortis au tour suivant par les Écossais de Dundee. Vu les circonstances, l’ASSE, obtient une honorable sixième place, avec la meilleure attaque (83 buts) mais la 15ème défense (59). Seuls les Verts ont pris les quatre points face au champion Marseille qui remporte également la Coupe de France et donc, son deuxième titre consécutif. Personne ne se doutait alors, sur la Canebière, qu’il faudrait attendre 17 ans pour fêter le suivant.
Au mois de mai 72 se produit un nouvel évènement capital mais prévisible celui-là. Albert Batteux, fatigué et fortement contrarié par une cohabitation devenue difficile avec le président, tire sa révérence. Il restera à jamais l’un des entraineurs légendaires du club et du football français. 


Roger Rocher a son successeur sous la main. Ce sera Robert Herbin qui est justement en train d’obtenir les diplômes nécessaires en vue d’une future carrière sur le banc. Il ne pensait pas qu’elle débuterait aussi tôt. Il stoppe donc celle de joueur et devient à 33 ans le plus jeune entraineur de haut niveau en France. Au mois de juin, parvenait de Suisse une terrible nouvelle. Vladimir Durkovic qui avait choisi de continuer sa carrière dans le club de Sion, venait d’être assassiné, au cours d’une fête dans cette ville, par un policier helvétique ivre. Il avait laissé un excellent souvenir à tous ceux qui l’ont côtoyé et vu évoluer. 


Avant l’entame de la saison 72-73, l’ASSE enregistre quelques arrivées qui vont permettre à terme au club de retrouver les sommets, dont Ivan Curkovic gardien de but yougoslave en provenance du Partizan Belgrade et Oswaldo Piazza argentin, futur grand défenseur. Robert Herbin pourra compter sur une génération exceptionnelle de jeunes, dont certains, comme on l’a dit, ont émergé avec Albert Batteux : Merchadier, Repellini, Patrick Revelli, Lopez, Sarramagna, Synaeghel, Santini, sont rejoints par Rocheteau et Janvion. La leçon a été retenue. Tout ce beau petit monde paraphe des contrats longue durée, de 5 à 8 ans pour certains. Le total aurait dépassé les 40 ans. Une figure du club Georges Polny, après 11 ans en vert, change de « Rocher », il va à Monaco ! L’ASSE se structure. Le siège social est installé à Geoffroy-Guichard dans un immeuble de trois étages. Des chambres sont aménagées pour les jeunes stagiaires.

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C’est alors qu’éclate une nouvelle affaire entre l’ASSE et l’OM qui semble avoir décidé que la formation interne des jeunes était trop compliquée pour eux, et qu’il était plus facile de se servir chez les autres. Salif Keita, encore sous contrat, est débauché par le président Leclerc qui lui propose un salaire autrement plus attractif que celui consenti dans le forez. Évidemment, et cela se comprend, le Malien n’hésite pas une seconde. Il met en avant une « clause secrète » du contrat lui permettant ce départ contre une somme modique, pour laquelle il aurait déjà adressé un chèque au club. L’ASSE porte l’affaire devant les instances. La clause est tellement secrète qu’elle est jugée illégale. L’ASSE est condamnée à une amende et le joueur écope de six mois de suspension. Coïncidence il effectuera sa rentrée lors de la réception au Vélodrome de l’AS Saint-Étienne battue (1-3). Il marquera deux buts et célèbrera l’évènement en adressant un bras d’honneur à l’attention du président Rocher en tribune. Il sera à nouveau suspendu. Entre temps le président Leclerc, créateur du magazine « But » avait été débarqué du club, accusé de détournement de fonds au profit de ses entreprises. C’est le FC Nantes qui sera le champion 1973, c’est le troisième titre des Canaris en neuf saisons disputées au plus haut niveau. L’ASSE termine à une honorable quatrième place avec le même nombre de points que le troisième Marseille. Une nouvelle fois, l’équipe de France sera privée de Coupe du Monde. Eliminée sans gloire dans un groupe de préqualification par l’URSS, elle sera absente de l’édition 1974 en Allemagne. Le bourreau des Français est un certain Oleg Blokhine, dont nous reparlerons très bientôt.

Pour l’ASSE, l’avant saison 73-74 est marqué par deux évènements d’importance. Hervé Revelli retrouve la Loire après deux saisons passées du coté de Nice. Aimé Jacquet, s’en va, mais pas très loin. Il s’exile entre Rhône et Saône, à Lyon qui, comme Marseille en son temps, sera plus que jamais, dans le rétroviseur de l’ASSE. Patrick Parizon et José Broissard rejoignent Troyes et Bastia. Une nouveauté qui ne fera pas de vieux os apparait. La Ligue ayant décrété que l’on ne marquait pas suffisamment, un point de bonus sera accordé à chaque club ayant inscrit au moins trois buts dans une même rencontre.
L’entame du championnat aurait été parfaite si la victoire obtenue lors du premier match à Marseille n’avait pas été gâchée par la grave blessure subie par Jacques Santini à quelques minutes de la fin. Il ne retrouvera le terrain qu’à la dernière journée, pour une nouvelle victoire...sur Marseille. Il n’aura fallu que deux saisons à Robert Herbin pour redonner à l’ASSE sa place au sommet du football français. Saint-Étienne (qui devance, Nantes redoutable adversaire, et Lyon), est sacrée championne de France pour la septième fois et réalise son troisième doublé en remportant sa quatrième Coupe devant l’AS Monaco de Georges Polny (2-1), après avoir éliminé les Canaris en quart. On ne le sait pas encore, mais une fièvre de couleur verte va se propager dans tout le pays.

Palmarès de l’ASSE dans la période 1971-1974 :

  • 1 doublé Coupe-Championnat en 1974

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