Portrait : Faouzi Ghoulam

Pros | Publié le par Bernard Lions pour L'Equipe | 0 commentaire
Paru aujourd'hui dans le quotidien sportif L'équipe, un long portrait du jeune latéral formé au club, Faouzi Ghoulam. Retrouver l'intégralité de l'article rédigé par Bernard Lions : C'est un cliché auquel il n'échappe pas. A Saint-Étienne, Faouzi Ghoulam, défenseur de vingt et un an, vit avec son image de "p'tit gars de la cité". Et elle s'invite facilement lorsqu'il plaisante avec ses coéquipiers. Il y a peu, l'un deux, Fabien Lemoine, était contrarié. "Tu peux lui retrouver les jantes de sa voiture ? On les lui a piquées", ont suggéré d'autres joueurs. Ghoulam, le seul Stéphanois de l'effectif pro avec Loïc Perrin, a demandé à des connaissances de son quartier de les chercher. En vain. "Ce n'était pas eux, mais des gars d'une autre cité", dit-il. J'ai pris l'habitude des fouilles au corps, mains collés contre ma BMW. Cette image du jeune des quartiers me colle. Avec le temps, je me suis aperçu que ça facilitait les choses de dire que je suis footballeur Il n'était pas encore né lorsque ses parents ont quitté celle de la Romière au Chambon Feugerolles, en février 1989. "Pour nous offrir une vie dans un environnement sain" se souvient Samir, l'un des sept frères ainées de Faouzi, dont il est aussi le conseiller. Après une première demande de crédit refusée, leur père, grutier, et leur mère, femme au foyer, ont pu s'acheter une maison plantée au pied de Montreynaud. Cette ZUP a été bâtie dans les années soixante sur une colline située au Nord de Saint-Étienne, avec la prison de la Talaudière pour horizon. Ghoulam a grandi à l'abri de ces tours dessinées par Raymond Martin, l'architecte qui a également cosigné les plans du stade Geoffroy-Guichard. Gamin, Ghoulam n'a jamais osé rêver y jouer. Ce n'était pas pour lui, le dernier d'une fratrie d'immigrés algériens de dix enfants. Il se contentait de contempler, de loin, l'imposant tableau d'affichage. Armé de jumelles, il parvenait à deviner ce qui s'y passait, les soirs de match, un transistor collé à l'oreille. Dans son quartier, peu de gens allaient au stade. Pas les moyens. "Les soirs de grand match, comme le derby contre Lyon, la mairie nous installait un écran géant sur la place. C'était comme un cinéma en plein air. C'était la bonne époque". Celle où il devint ramasseur de balle au sortir de la coupe du monde 1998. Pendant 3 ans, Ghoulam put ainsi approcher ses héros. "Mais les joueurs nous criaient souvent dessus pour qu'on leur donne vite le ballon. On jouait un match dans leur match condamnés à rester concentrés." Les soirées furent plus agréables quand Jean-Louis Desjoyaux, un ami de Samir, l'invita à suivre les matchs dans sa loge. Et la vie devient franchement belle quand il foula pour la première fois la pelouse de Geoffroy-Guichard, le 12 mars 2011, face à Brest (2-0), où évolue Brahim Ferradj, l'autre footballeur pro du quartier. Depuis, Saint-Étienne - Brest est devenu le derby de Montreynaud. "Petit je n'étais pas très sport, dans une famille de sportif, avoue Ghoulam. Mais regarder les cassettes de Maradona et être supporter des Verts sont deux choses auxquelles je ne pouvais pas échapper. Maradona est l'idole de ma famille, et il n'y a que le foot dans la tête d'un Stéphanois. J'y ai donc joué, à cause de mes frères. Ma mère m'a eu à quarante-cinq ans et ils m'ont élevé. Ils m'ont inscrit au CSADN." Il avait six ans et il n'y est pas resté. Georges Bereta, ancien milieu international des Verts (1966-1974), natif de Montreynaud et ami de la famille, le fit rapidement venir à l'ASSE, où Ghoulam vit donc actuellement sa quinzième saison. "Abidal n'avait pas plus de qualités que lui à ses débuts à la Duchère, se souvient Bereta. Faouzi était déjà posé, très réfléchi, étonnant. Il était heureux d'être là." Content de monter la colline pour gambader jusqu'à l'école de son quartier et de la redescendre, en coupant à travers champs, pour rejoindre l'Etrat, le centre de formation de l'ASSE, distant de 3 kilomètres. "Ensuite, je me suis plus concentré sur l'école que le foot, j'ai même failli arrêter lorsque j'étais en moins de 16 ans. En général, 3% de jeunes passent pros et un par génération à l'ASSE. L'école c'était plus sûr. Mais, à force d'écouter beaucoup de gens m'assurer qu'ils auraient pu être pris, je me suis dit que jamais je ne prononcerai cette phrase plus tard. Il me fallait donc savoir si j'avais le niveau. Avoir vu deux de mes frères échouer (Doufiane et Samir) m'a donné la rage. Lors de mes vacances à Annaba, dans ma famille en Algérie, j'avais également pu constater que la vie était dure là-bas". Un autre éducateur l'avait surnommé "l'avocat", car il contestait tout et défendait même l'indéfendable. Moi je l'appelais "le syndicaliste" A quatorze ans, c'est décidé : il ne partira plus en vacances. Quatre étés durant, il reste à Saint-Étienne pour travailler son physique six jours sur sept avec Nabil, un autre de ses frères, ancien membre de l'équipe de France de demi-fond. Il doit aussi se résigner à reculer au poste de latéral gauche. "Non sans mal, se rappelle Abdel Bouhazama, un de ses formateurs. Car Faouzi pensait avoir plus de chances de briller en restant attaquant. Il a fini par accepter, pour réussir, sans se renier. Un autre éducateur l'avait surnommé "l'avocat", car il contestait tout et défendait même l'indéfendable. Moi je l'appelais "le syndicaliste", parce qu'il se voulait le porte parole du groupe alors qu'il n'était pas le capitaine. C'était un leader positif, capable de transmettre et de faire bouger les choses. Mais comme il était stéphanois il était comme ce vieux meuble à la maison, auquel on ne fait plus attention. C'était oublier sa capacité à apprendre très vite, sa bonne éducation et son mental à toute épreuve." Des qualités qui l'ont aidé, sans doute, à passer professionnel, tout en obtenant son bac EC. S'il vit désormais à Sorbiers, à 6 kilomètres de là, il n'a jamais vraiment quitté Montreynaud. Il lui a même fallu un an pour se décider à ne plus vivre à l'étage de la maison familiale, avec sa femme et son premier enfant. Aujourd'hui, il y revient chaque jour. "Pour voir ma mère, avec qui il est interdit de mentir et de voler. N'avoir quasiment pas d'autres amis que mes grands frères m'a permis de mûrir plus vite. Ça m'a protégé. Ma famille est ce que j'ai de plus cher". A vingt et un ans, il a déjà fondé la sienne. Sa femme, rencontrée sur les bancs de l'école à seize ans, lui a donné deux garçons : Soufiane (vingt mois) et Jibril (six mois). Il porte leurs noms sur des bracelets accrochés à son poignet droit et sur ses protège-tibias, où figurent aussi deux personnages de manga. L'un symbolise la puissance, sur la jambe gauche, l'autre, à droite, le travail. Il commence à transmettre l'héritage à ses enfants. Jeudi, il est allé acheter deux maillots à la boutique des Verts pour son ainé. "Le mien lui est trop grand. J'emmène aussi Soufiane se promener dans le quartier. Je n'aime pas ce mot, "cité". Il a pris une connotation trop négative". Plutôt que de se rentre à la mosquée Mohammed-VI inaugurée le 19 juin, il préfère continuer à partager la grande prière du vendredi au milieu des siens. Il s'agenouille dans l'herbe, en direction de La Mecque. "Je m'évade et profite de l'instant présent avant un match. Ce sont des moments à moi, magnifiques." Sa récente prolongation de contrat jusqu'en juin 2016 lui promet d'en vivre d'autres sur le terrain et en dehors, non loin de son quartier et du petit restaurant kebab tenu par un proche, en centre-ville, dans lequel il a l'habitude de déjeuner. L'international Espoirs français (il a débuté le 28 février face à l'Italie, 1-1) incarne la réussite de la formation stéphanoise. "S'il fournit des effort, il sera suivi par le public, qui aime les régionaux" promet Bereta. Ghoulam, lui, s'interdit de revendiquer quoi que ce soit. "Il n'est jamais dans le trip je veux être le porte-drapeau de mes origines", confirme Bouhazama. Il veut juste rester un jeune de quartier. Avec ce que cette proximité implique. "Les gens savent où me trouver, dit le défenseur. Ils peuvent me voir, me parler. C'est pour ça que c'est plus difficile de passer pro dans ta ville. Mais j'ai ma famille, ici. Et ça, ça n'a pas de prix. Saint-Étienne a une forte population maghrébine. L’inconvénient, c'est que je me fais arrêter par la police...". Ce fut encore le cas dans la nuit suivant le match à Lorient , mercredi (1-1, 3-0 aux t.a.b., en 16ème de finale de la Coupe de la Ligue), alors qu'il ramenait chez eux les jeunes Mayi, Polomat et Zouma. "Je suis le pro qui se fait arrêter le plus souvent, lance Ghoulam. Je n'ai pourtant pas la montre d'Aubameyang (une Aston Martin vert pomme) ! J'ai pris l'habitude des fouilles au corps, mains collés contre ma BMW. Elles me mettent mal à l'aise quand les gens me reconnaissent dans la rue, et pas les policiers. Cette image du jeune des quartiers me colle. Avec le temps, je me suis aperçu que ça facilitait les choses de dire que je suis footballeur." Il a été surpris aussi de se voir nommer ambassadeur de Saint-Étienne, il y a six mois, au même titre que le chanteur Bernard Lavilliers ou l'acteur François-Xavier Demaison. "C'est drôle. On me considère désormais comme un people alors que je suis juste une personne devenue publique". Et le héros de Montreynaud.
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