Nostalgie - Herbin : L'homme de foi

Pros | Publié le par Thomas | 0 commentaire
Toute cette semaine nous vous proposons de replonger grâce à des articles de journal dans la finale de 76. Aujourd'hui, après Rocheteau : sept minutes pour rêver, retrouvez un article, sorti en mai 1976 dans Football Magazine n°200, qui traite de la façon dont l'ASSE a pu gagner le coeur de milliers de Français et d'Européens mais aussi de l'homme qui dirigeait cette brillante équipe, Robert Herbin.
Une courte nuit avait passé. La délégation stéphanoise allait regagner sa base et avançait  à petits pas sur le dallage de l'aéroport de Glasgow. Spontanément, une haie d'honneur se forma derrière la haie des "bobbies" écossais et le cri de guerre désormais fameux retentit : "Allez les Verts". Go on, the Greens.

Une jeune fille écossaise, seize ans aux prochaines mirabelles, s'approcha pour murmurer à l'oreille d'un joueur stéphanois : "Saint-Etienne for ever !". Et elle s'enfuit en courant, confuse de tant de hardiesse.
Il est dérisoire de dire que Saint-Etienne a séduit et l'Ecosse et l'Europe. Tous les observateurs de la finale, tous les amoureux du football chantent depuis le 12 mai les louanges des stéphanois.
Les héros Verts n'ont pas accepté aisément le monstrueux coup de chance du Bayern. Les masques son tombés dès le coup de sifflet final, les larmes ont coulé, les coeurs se sont serrés.
A vrai dire, jamais nous n'avions vu des joueurs français battus réagir aussi mal. Cela nous émouvait et nous plaisait à la fois car la déception était à la mesure de la prodigieuse concentration qui les avait habité. Saint-Etienne, d'un seul coup, confirmait qu'il était de la race des grands.

L'homme de ce destin nouveau s'appelle Robert Herbin. Du temps qu'il était joueur et entrait à vingt ans en équipe de France, il avait déjà cette assurance insolente des hommes forts. Il n'admettait ni la dérobade ni la faiblesse. Il regardait Kopa dans les yeux et son admiration n'estompait pas le jugement. Quand Saint-Etienne gagna sa première coupe de France contre Nancy en 1962 à l'issue d'un pauvre match, il nous grinça son dépit : "Gagner c'est important, certes, mais jouer si mal quand on aurait pu jouer si bien !"

Herbin a dû attendre vingt ans pour pouvoir exprimer sur un terrain le football qui le séduit. C'est pourquoi la frustration de Glasgow ravive en lui des plaies profondes. Son abattement était effrayant après la finale perdue parce qu'il touchait un homme lucide, sûr de sa force et de ce qu'il avait bâti. Mais avant lui même, il pensait à ses joueurs : "C'est pour eux d'abord que je suis triste" disait-il.

Surnommé "le sphynx"  par ses joueurs parce que son sang-froid confine à l'immobilité glaciale de l'iceberg, Herbin a transmis peu à peu aux Stéphanois la sérénité en toutes circonstances. Le miracle, c'est que ces produits de l'ordinateur Herbin, admirablement programmés pour la compétition et la victoire, sont le contraire de robots. L'intelligence, la passion, la solidarité, le courage, la force et même la patience les habitent. Ils sont ce que Herbin désirait qu'ils fussent, et peut-être aussi ce qu'il eut aimé être : un champion en pleine possession de ses moyens athlétiques, techniques et tactiques, entouré de dix autres joueurs sortis du même moule.
Herbin, pourrait-on dire, n'a rien inventé. On l'a dit. On le dira à nouveau. Il est certain cependant, d'abord qu'il a fait la synthèse de toutes les bonnes solutions, ensuite qu'il a dégagé pour la première fois en France, un certain nombre de voies inconnues. Dans le domaine de la préparation athlétique, dans celui des soins médicaux, dans celui de l'approche psychologique d'un événement, dans celui des principes de vie collective, Herbin a soit innové soit apporté sa touche personnelle. Et l'on affirme que quatre ans après son entrée dans sa fonction d’entraîneur, il est devenu le chef de file de sa corporation.

De cela, il se moque peut-être. L'important pour lui, est plutôt d'avoir acquis le respect de ses joueurs et de tous les Stéphanois. A 37 ans, il est pour l'équipe de Saint-Etienne le guide et le point de référence.
Les Verts, nos Verts, méritaient sans doute sur leur finale, et sur ce qu'ils avaient réalisé auparavant, d'être champions d'Europe. 300 millions de téléspectateurs leur ont attribué le titre dans leur cœurs. C'est peut-être le plus important.
De toute façon, la route est libre maintenant. Herbin, dans un autre style qu'Albert Batteux en 1956-1959 mais au même niveau, a démontré sa foi dans les vertus du football français. Il y avait dix ans qu'on l'attendait.


Retranscris par Evect de Football Magazine N°200 (mai 1976) spécial "L'aventure européenne des Verts"
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