L'Interdiction Administrative de Stade : un fléau pour les supporters ?

Pros | Publié le par Etienne | 18 commentaires

Il y a quelques semaines, une dizaine de membres des Green Angels, résidents du Kop Sud à Geoffroy Guichard, recevaient par recommandé une lettre leur annonçant qu’ils étaient dès lors Interdits Administrativement de Stades. Depuis le début de la saison 2014-2015, le nombre de ces lettres est en constante augmentation, et rien qu’à Saint-Etienne, on estime à une petite trentaine les récentes interdictions. Les raisons sont multiples, et souvent obscures. Les interdictions de stade existent sous plusieurs formes juridiques, et l’une d’entre elles suscite depuis quelque temps une polémique, qui est longtemps restée sous silence. 

IAS, petit rappel des faits. 

A l’heure actuelle, la majorité d’entres-elles se font sous l’égide d’une Interdiction Administrative de Stade (IAS). Cette décision juridique est absolument unique dans la loi française. En effet, l’IAS est la seule sanction juridique qui puisse être délibérée sans possibilité de défense de la personne concernée.

Cette mesure avait été instaurée à la fin de l’année 2006, dans le cadre d’une « loi anti-terroriste ». Dans son répertoire initial, cette mesure devait servir aux préfets pour chasser des stades les éléments « perturbateurs » à l’origine de comportements dangereux et violents, et qui, surtout, représentaient un danger pour la sécurité publique. 

Si celle-ci est restée plutôt marginale pendant ses premières années, l’avènement d’une nouvelle décennie et la volonté d’éradiquer la violence dans les stades avant l’Euro 2016 l’ont fait entrer dans une nouvelle ère. L’augmentation significative du nombre d’Interdiction Administrative de Stade prononcées est constatée par l’ensemble des groupes de supporters français, plus particulièrement chez les Parisiens, fréquemment victimes de véritables rafles. En 2014, plus de 300 supporters du club de la capitale avaient reçu la fameuse lettre, coupables d’avoir soutenu leur équipe face à Amiens en CFA. A l’heure actuelle, la grande majorité de ces IAS ont été annulées, nous y reviendrons plus tard. 

Une mesure qui soulève plusieurs problèmes 

Si l’IAS fut instaurée dans le cadre de lois dites « anti-terroristes », c’est bien que celle-ci n’était destinée qu’à être utilisée dans des cas extrêmes, et notamment, comme le dit le texte de loi, en cas de « menace à la sécurité publique ». Cela prouve dès lors une première dérive. Contacté dans le cadre de la rédaction de cet article, Tom (Son prénom a été changé), un membre des Magic Fans a bien souhaité nous donner quelques informations à propos des IAS au sein du groupe de la tribune nord. S’il conçoit la nature répréhensible de certains comportements autour des stades, la mise en place d’une mesure de telle sorte lui apparait comme liberticide et grossièrement illégale. 
  

En effet, l’IAS, comme beaucoup de mesures juridiques, a été détournée de son usage initial. Toujours selon lui, elle « permet aux forces de l’ordre, présentes à l’intérieur et autour des stades, d’interdire des personnes de stade, en se servant du pouvoir des préfets, qui sont souvent sans réelles connaissances du sujet ».  Les exemples sont nombreux, et on trouve sur le web de nombreux témoignages de supporters qui se sont fait interdire de stade administrativement, pour des raisons litigieuses. Récemment, l’Equipe, qui consacrait tout un dossier au mouvement Ultra’, avait traité le sujet. Comment associer une tentative d’introduction de fumigènes dans un stade à un comportement pouvant mettre en péril la sécurité publique ? 

Là où l’Interdiction Administrative de Stade soulève également la critique, c’est dans les conditions de son application. Prononcée sans la concertation du principal intéressé, le supporter, elle impose des conditions de vies drastiques. La plus contraignante d’entres elles : l’obligation de pointage plusieurs fois par semaine au commissariat désigné, donc l’interdiction de déplacements (mêmes pour des séjours professionnels, familiaux, etc). Est-il normal qu’en France en 2015, un individu soit privé d’une des libertés fondamentales -la libre circulation- pour avoir allumé un fumigène dans un stade ? 

Plusieurs autres dérives sont recensées, des dérives qui sortent même du cadre purement législatif. Le manque de clarté et d’informations en fait partie. Le 4 décembre dernier avait lieu la rencontre entre Montpellier et l’ASSE. Suite à l’impraticabilité du terrain, le match avait été délocalisé à l’Altrad Stadium, qui a pour habitude de voir évoluer le rugby. Invoquant la non-présence des normes de sécurité en vigueur pour recevoir un événement comme un match de Ligue 1, le préfet de l’Hérault avait décidé, à 48 heures de la rencontre, d’interdire le déplacement des supporters stéphanois, via une simple mention dans le journal officiel du gouvernement. 

Ainsi et par arrêté préfectoral, tout individu désigné comme « supporter stéphanois » et présent aux abords du stade le soir du match, courait le risque d’être interpelé, puis de se faire interdire de stade. Monsieur le préfet, tout le monde ne consulte pas le journal officiel avant d’effectuer un simple déplacement. 

Quel avenir pour l’IAS ? 

Originellement votée et adoptée comme une mesure temporaire, dans le cadre d’un plan anti-terroriste, l’IAS n’avait pas vocation à devenir ce qu’elle est aujourd’hui, une arme utilisée en série par les instances juridiques. Se pose dès lors la question de sa viabilité dans le futur. 

Il faut dans un premier temps comprendre que le dialogue entre les principaux intéressés -les supporters- et les instances juridiques sont inexistants. Tom, membre des MF, nous explique que cette absence de dialogue provient du contenu de la loi en lui-même, selon lui, « à la différence des Interdictions de Stade classiques, le supporter concerné ne peut se défendre devant les instances juridiques, il n’existe donc aucune possibilité de médiation pour un aménagement de la sanction ». Ce manque de dialogue ne laisse donc absolument pas présager une quelconque évolution. 

Ce manque de communication provenant de la DNLH (Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme) appose un flou sur les méthodes employées et les chiffres autour des IAS. Lors de la journée précédente, l’ANS (Association Nationale des Supporters, qui regroupe la majorité des groupes de supporters en France) avait lancé un appel aux groupes de la totalité de l’hexagone pour interpeller la DNLH sur son manque de transparence.

Toutefois, le tableau n’est pas si sombre que cela. Récemment, plusieurs décisions de justice ont permis à des dizaines de supporters parisiens de bénéficier de l’annulation pure et simple des Interdictions Administratives de Stade qui les touchaient. Le 16 décembre dernier, l’État avait même été condamné à verser 1000 euros de dommages et intérêts à un supporter parisien, Interdit de Stade injustement quelques mois auparavant. Dans la foulée, une cinquantaine d’IAS avaient été annulées.

Ces décisions de justice restent malgré tout très rares, mais pas pour les raisons attendues. En effet, comme nous l’ont indiqué des membres des groupes de supporters stéphanois, l’IAS, dans la plupart des cas où elle est contestée, est annulée. Beaucoup de personnes qui se retrouvent IAS pensent qu’il est inutile de tenter une quelconque défense, ce qui est faux. Les Magic Fans et Green Angels s’unissent donc pour rappeler qu’il est très important de se défendre en justice, et de se rapprocher des groupes pour avoir des conseils supplémentaires. 

L’Interdiction Administrative de Stade suscite donc un débat à sens unique. Le refus de dialogue et le manque de communication des instances françaises laisse présager que la situation n’est pas prête d’évoluer, du moins jusqu’à l’Euro 2016 et ses dérives sécuritaires. Nous appelons donc le plus large public possible, que vous soyez Ultra, supporter, ou simple suiveur du football, à prendre conscience des enjeux que représente l’IAS, et à en parler autour de vous, pour que cette situation tende vers une évolution.

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