Entre espoir et désespoir

Pros | Publié le par Dr Cox | 0 commentaire
Depuis le hold up ô combien jouissif réalisé dans l’antre de nos meilleurs ennemis, il convient d’admettre que le parcours de nos favoris fait froid dans le dos. Si le constat est glacial, des circonstances atténuantes sont bien entendu à prendre en compte et, ainsi, ce n’est pas chercher de fausses excuses que de rappeler l’influence de l’indisponibilité de certains cadres sur le rendement général d’un effectif grandement limité en nombre. Ajoutez à cela la petite baisse de régime attendue d’un Payet ou la fatigue d’un Battles qui a peu soufflé depuis le début de saison, et vous pourrez faire valoir moult explications des plus rationnelles à cette mauvaise passe. Rien de très surprenant, après tout, compte tenu de nos lacunes connues et reconnues. Cependant, je me suis plutôt amusé à une analyse fataliste de l’histoire de notre club. Évidemment, tout ce qui va être développé ici peut s’expliquer de manière on ne peut plus logique, par l’incompétence de nos dirigeants, entraineurs ou joueurs successifs, ou encore par la sempiternelle (mais pas forcément fausse) thèse d’un milieu stéphanois malsain qui aurait la mainmise sur l’entourage du club depuis le départ de Roger Rocher. Mais des fois, comme après le penalty raté par Payet à la dernière seconde d’une rencontre importantissime, qui n’a pas envie de croire en une espèce de malédiction qui pèserait sur nos couleurs ? Qui ne se laisse pas aller à une certaine fatalité lorsque les mêmes scenarii improbables se répètent inlassablement contre nous, ou dépit de tout changement de joueurs, de staff et de direction qui s’opère pourtant régulièrement depuis l’affaire de la caisse noire ? Ce qui m’a amené à me pencher sur ce type d’hypothèses, ce n’est pas tant nos souffrances que la façon par laquelle elles s’imposaient à nous. En effet, il s’agit en premier lieu de balayer d’un revers de la main l’argument consistant à affirmer, d’un ton rassurant, que certains clubs sont bien pires que nous. Certes, un club comme Strasbourg est concrètement dans une mouise plus dense que la notre. Mais d’une part, contrairement à l’ASSE, le Racing n’a jamais vraiment eu l’occasion de revendiquer autre chose que son statut de club moyen, qui ne s’est jamais ancré durablement dans le haut du tableau de la première division, et qui se contente d’exploits éphémères via l’obtention d’un titre significatif tous les dix ans (généralement une coupe). D’autre part, justement, comme la plupart des clubs dits moyens, il a connu la joie du succès en remportant quelques coupes nationales dans son histoire récente, lui permettant ainsi de sortir de son train et de donner à ses supporters le bonheur d’un trophée. Bien loin de moi cependant l’idée de faire preuve d’un quelconque mépris envers les clubs « historiques de milieu de tableau », seulement de souligner que leur histoire est suffisamment linéaire pour éviter à leurs fans des frustrations qui sont généralement proportionnelles aux attentes. Et à Strasbourg, du fait de l’histoire et du palmarès des « ciel et blanc », les attentes sont forcément moins fortes. L’AS Saint-Etienne, quant à elle, est certainement le club français, excepté Reims, dont les résultats depuis presque trois décennies sont les plus inadéquates avec son palmarès, son prestige, son stade, sa popularité et ses ambitions. Mais là n’est pas la nature même de nos malheurs, car en Europe de nombreux clubs mythiques des années 1960 à 1980 ont sombré plus ou moins définitivement dans les affres des divisions inférieures et de l’anonymat le plus complet. Citons par exemple Nottingham Forest outre-manche ou Monchen’Gladbach outre-rhin, qui ont depuis longtemps tourné la page de leur glorieux passé, et qui assument aujourd’hui leur nouveau statut, plus modeste. Les temps changent, le football n’est plus le même, et certains clubs autrefois victorieux n’ont pas su s’adapter à cette évolution, qui ont vu les valeurs sportives et humaines perdre de leur importance au détriment du business total. Il n’y a rien de honteux à ne pas avoir pu suivre ce chemin que certains qualifieront de malsain. Aujourd’hui, les clubs suscités ne rêvent plus de succès face aux gigantesques multinationales étrangères que sont devenues des institutions telles que Manchester United, ou le Chelsea du milliardaire russe Abramovitch, mais ils se sont fait à leur nouvelle vie, et cela n’empêche pas leurs fans de prendre du plaisir, en regardant leur passé empreints de fierté plus que de tristesse outrancièrement nostalgique. N’est ce pas également une sorte de renaissance ? Le premier constat est donc que nous n’avons pas su faire le deuil de notre passé, et que nous attentes actuelles sont inadaptées à ce qu’est devenu notre club depuis le départ de l’emblématique Roger Rocher. A la décharge de nous autres supporters, il faut admettre que les circonstances ne nous en ont pas forcément laissé la possibilité depuis quelques années. Et c’est là qu’intervient la thèse de la malédiction. En effet, depuis 1982, si nos résultats sont globalement de niveau médiocre, nous avons toutefois connu des pics nous ayant laissé présager le meilleur. Or, je pense que la souffrance du peuple vert est maintenue par cette irrégularité chronique, qui nous laisse entre espoirs et désespoirs, dans une incertitude ravageuse qui ne nous permet pas de trancher entre illusions d’un retour définitif au premier plan, et désillusions salvatrices d’un club ayant fait le deuil de sa gloire passée pour l’éternité. A cause de cette irrégularité, nous sommes englués dans une véritable crise d’identité. De 1998 à 2000, nous avions cru à cette renaissance sportive tant attendue. Emmenée par le merveilleux duo brésilien Alex-Aloisio, l’équipe de Nouzaret et ses exploits (avec le fameux 5-1 contre l’OM en point d’orgue) nous avait légitimement redonné espoir en l’avenir. Encore plus lorsqu’à l’heure de jeu d’un match contre Auxerre, au début de la saison 2000/2001, nous prenions la tête du championnat après avoir, notamment, dominé Bordeaux et surclassé (encore !) les phocéens 3-0. La club semblait à nouveau sur le chemin d’un succès durable. Sauf que ce match à Auxerre, nous l’avions finalement perdu, sur un coup du sort arbitral et avec une malchance inouïe. L’indispensable Aloisio s’y était blessé, et l’affaire des faux passeports allait rapidement être révélée. La spirale maudite était une nouvelle fois enclenchée, et pu après avoir imaginé nous couleurs de retour sur les sommets, c’est en D2 que nous tombions. En 2004, nous y avions cru. D’abord contre Sochaux, quand ces valeureux verts menaient de deux buts en demi finale de coupe de la ligue, et se trouvaient ainsi aux portes d’une finale de coupe menant sur la route d’un trophée plus glané depuis 1982. Avant que nous trouvâmes le moyen de nous incliner. Puis après la remontée, quand au lieu de réenclencher une dynamique peut-être salutaire, nous nous tirions un obus dans le pied en laissant partir le principal instigateur de ce début de renouveau. En 2008, nous y avions cru, et comment ! Pour la première fois depuis 1981 et une terrible raclée prise contre les Bohemians de Prague, les verts retrouvaient le savoureux parfum de la coupe d’Europe. Le club pouvait alors compter sur des finances conséquentes, une notoriété retrouvée, et une dynamique qui devait lui permettre de franchir enfin définitivement ce fameux palier vers le succès, comme l’a fait un club comme Lille depuis dix ans. Avant que nos dirigeants ne gèrent l’intersaison suivante de manière absurde, et ne laissent partir notre meilleur joueur au moins de septembre sans le remplacer. En septembre 2010, encore et toujours, nous y avions cru. Avant que les blessures, l’inefficacité et ce satané penalty raté à la 91ème minute (vous avez déjà vu ça ailleurs, vous ?) ne nous ramènent dans le ventre mou en moins d’un mois. L’histoire récente de notre club est de ce fait un leitmotiv. Qui que soient nos dirigeants, nos entraineurs et nos joueurs, il s’agit pour les verts de nous faire rêver en approchant le sommet sans jamais le toucher – histoire de toujours maintenir en nous une part de frustration - , puis de nous planter un coup de poignard dans le dos au moment précis où nos espoirs sont les plus insistants. Ainsi, de par ces pics éphémères de résultats, restent enfouis en nous ces espoirs de grandeur renaissante qui ne sont jamais satisfaits. Et, de manière indissociable, le fait que ces dits espoirs démesurés soient constamment ravivés nous empêche de tourner la page de notre passé et de finaliser l’acceptation de notre présent. Pour parler crument, nous sommes le cul entre deux chaises, et pour nous autres supporters, c’est la pire des situations dans laquelle nous pouvons être. Car aujourd’hui, le peuple vert a des ambitions que son club ne peut vraisemblablement satisfaire. Il en souffre, et il est même le public français qui souffre le plus. A ce titre, ces trois dernières décennies ligériennes semblent carrément être l’œuvre diabolique d'une force supérieure. Mais malédiction ou pas, ne serait-il de toute façon pas temps pour nous de changer d'approche ?
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