Édito : La politique de la tortue

Deux défaites en deux rencontres, il n’en fallait pas plus à l’ASSE pour connaitre dès la mi-août une première crise dans sa seconde saison de Ligue 2 depuis la descente. Comme souvent au club quand ça va mal, chacun rentre dans sa carapace et se renvoie la balle, laissant le sentiment d’un coach dépassé et bien seul à la barre.
Par peur de questions sur les incidents en tribunes, aucun joueur ne s’est présenté en zone mixte du côté de Rodez samedi après-midi après la défaite de l’ASSE sur la pelouse des Ruthénois (2-1). Pourquoi parler football c’est vrai ? La prestation des Stéphanois fût tellement convaincante. Seul Benjamin Bouchouari attrapé de volée par un confrère du Progrès a répondu à la hâte à quelques questions sur la rencontre qui venait de s’écouler. Sur place, la dernière recrue des Verts, Dylan Batubinsika pas encore bien rôdé au fonctionnement de la communication du club s’est arrêté pour échanger quelques mots avec la presse avant de demander... à l’intendant du club s’il avait le droit de s’exprimer. Quelle question ! Réponse négative évidemment, avion à prendre. Le bus partira finalement 30 minutes plus tard. Dépassement de fonction, on ne parle pas à Saint-Étienne quand ça va mal, et ça, pas besoin d’attaché de presse sur place samedi pour que chaque joueur reçoive le message. Quelques minutes auparavant, le capitaine Anthony Briançon n’avait pourtant pas mâché ses mots au micro du diffuseur : "C'est avant tout un état d'esprit, des valeurs qu'on n'a pas et que l'on doit vite retrouver, parce que sinon on va se faire chier". Élan de sincérité et de lucidité pour les supporters, sortie non maitrisée pour le club. Différence de point de vue.
À l’ASSE, on ne parle d’ailleurs pas beaucoup plus quand ça va bien, il y a bien longtemps que l’exercice de la zone mixte est devenu un énième outil de communication pour les clubs de football. Le COVID a été une formidable raison d’établir bon nombres de protocoles, nécessaires à l’époque, sur lesquels, deux ans après, les clubs peinent à revenir. Les joueurs emmenés devant les journalistes pendant deux saisons ont gardé cette petite habitude qui arrange tout le monde disons-le clairement. Terminé la spontanéité des fins de rencontres, tout est maitrisé, calculé, parlera celui qui aura été désigné pour le faire. Samedi, personne. L’AS Saint-Étienne sait faire.
À Rodez, un étrange ballet s’est organisé dans les coursives du stade Paul-Lignon, à la demande de la presse et compte tenu à la fois des incidents en tribune mais également du contexte sportif du début de saison, s’il était possible que Jean-François Soucasse vienne s’exprimer sur ces deux sujets d’actualité. Quoi de plus normal ? En messager habile, le responsable de la communication du club a multiplié les allers-retours entre la zone mixte et le trio Soucasse, Perrin, Rustem, présents tous les trois samedi à Rodez. Réponse négative. Seul Samuel Rustem après d’âpres négociations est venu échanger quelques mots avec les journalistes présents, sur le contexte des incidents en tribune.
C’était pourtant le souhait de son entraineur Laurent Batlles quelques minutes plus tôt en conférence de presse. Agacé par les questions extra-sportives et concernant le mercato des Verts, le coach stéphanois a renvoyé les journalistes vers ses dirigeants : "Le mercato ? Il y a des gens avec qui vous devez parler concernant le sujet, parlez-en aux gens concernés. Est-ce que ça influe sur ce qu'il se passe sur le terrain ? Oui totalement mais moi je suis entraineur, je me concentre sur le terrain. Les tribunes, c’est pareil ! Parlez aux gens concernés." Message passé, coach, sauf que les principaux concernés sont aux abonnés absents sur les sujets de crise.
Une situation qui n’est pas sans rappeler celle des précédents entraineurs du côté de l’ASSE. Quand le bateau tangue, ils s’exposent souvent seuls à la barre du navire. Sans trouver d’excuses au contrôlant Puel et à l’extravagant Dupraz, quand il était question de parler concrètement de l’avenir du club, les deux hommes étaient livrés complètement seuls à répondre à des questions sur lesquels, accordons leur, ils n’avaient pas la moindre réponse à fournir. Nouveau symptôme d’un club sans véritable patron, car, cette communication systémique à l’ASSE résulte une nouvelle fois d’un fonctionnement interne dépassé où personne n’est à même de prendre et d’assumer ses responsabilités. En off, la soupe est servie à qui la demande mais quand il s’agit de s’exposer publiquement, plus de son, plus d’image. Si une tentative d’ouverture a été faite durant l’intersaison, avec en toile de fond la promesse d’une communication de la direction sur des moments de crise, le retour aux maux quotidiens du club a rappelé à chacun sa position : moins on parle, mieux on se porte. Sauf si l’on juge du côté de l’ASSE et c’est bien possible, que la situation à Rodez, samedi, ne rentre pas dans un contexte d'urgence dans le Forez. Mea Culpa.
Les fans des Verts quant à eux ont tranché et ils ne comprennent pas. C’est Batlles en tête de vis apparente sur la planche percée de l’ASSE qui encaisse les coups de marteaux. S’il a joué le jeu de la communication du club et de sa direction depuis son arrivée, l’homme n’est pas genre à se faire dicter ses choix indéfiniment. Sa sortie de samedi le prouve, première virgule médiatique d’une situation qui l’agace, notamment sur le mercato, enfin ! Son 3-5-2 anime les débats depuis des mois alors que pendant ce temps-là, l’AS Saint-Étienne rentre dans le rang d’un club de seconde zone. Une réalité latente qui risque d’exploser très rapidement à L’Etrat, et oui, tous les clubs de seconde zone n’emploient pas 250 salariés. Saint-Étienne n’y coupera pas et il n’y aura pas de troisième saison en Ligue 2 avec le rythme de vie d’un club de Ligue 1.
Sans réel pilote dans l’avion, les supporters s’agacent, et comment leur reprocher ? Dirigeants absents, presse complice, joueurs sans envie, coachs incompétents, copinage, réseaux sociaux, les explications vont bon train dans les travées de Geoffroy-Guichard les jours de matchs. À chacun sa version. Au cœur de ces échanges, deux noms : ceux de Roland Romeyer et de Bernard Caïazzo. Comment évoquer la situation actuelle de l’ASSE sans pointer une nouvelle fois du doigt ses deux présidents. Absents de la vie sportive du club selon leurs dires depuis la mise en place de Jean-François Soucasse, leurs soutiens respectifs au club, se chargent de faire rappeler les règles de la maison verte, ou plutôt leurs règles quand un dossier, un sujet, ne convient pas au bon vouloir d’un des deux présidents. Si Soucasse concède volontiers ne pas souffrir de l’interventionnisme de ses dirigeants pour son travail quotidien, la réalité dépasse bien souvent les faits, surtout quand le club est en souffrance. Le sujet de la vente n’en n’est plus un, tout le monde l’a bien compris. Pas sur du court terme en tout cas. Quand bien même un repreneur se présenterait aujourd’hui aux portes du club, la vente est de base un processus très long, à Saint-Étienne plus qu’ailleurs il est interminable tant le dossier est complexe.
La passion fait de nous un peuple sans raison, phrase célèbre des tribunes stéphanoises, trouve parfaitement sa signification quand le club est en difficulté structurelle et sportive. Après deux journées et deux défaites, la maison brûle déjà à Saint-Étienne, spécificité d’une ville qui vie pour son équipe. Ailleurs, on prendrait le temps, ici, nous ne l’avons plus, surtout quand le sablier de crédibilité dont l’état major stéphanois bénéficiait lors de sa nomination a depuis longtemps écoulé ses derniers grains de sable. Il est grand temps que les choses changent.