🎙 Interview Evect : À la rencontre du coach, Laurent Batlles
Pendant plus de trois quart d'heure, Laurent Batlles s'est confié devant notre caméra pour décrypter sa façon de coacher. La tactique, son management, sa gestion de la pression et des périodes difficiles, ses inspirations ainsi que ses relations avec la presse, l'entraineur stéphanois s'est livré à coeur ouvert pour Evect.
Laurent tu arrêtes ta carrière de joueur en 2012, le métier d'entraîneur est-ce qu’on y pense tout de suite ?
J’y ai pensé avant, je dirais trois ou quatre ans avant la fin de ma carrière. Il est vrai qu’en fonction des relations que j’avais avec mes entraîneurs, et notamment quand je suis arrivé ici avec Christophe (Galtier), je m’étais déjà posé pas mal de questions. En étant un relais aussi de l'entraîneur à Saint-Étienne, de temps en temps je faisais partie de certaines réunions et c’est vrai qu'au fur et à mesure ça m’a donné encore plus envie d’entraîner.
Tu commences ta carrière d'entraîneur à l’AS Saint-Étienne à la formation, quels souvenirs en gardes-tu ?
Ça a été très formateur puisque ça m’a permis d’apprendre beaucoup de choses, en prenant le temps, en voyant aussi à la fois les jeunes et les moins jeunes puisque j’ai vite basculé sur l’équipe réserve. À la formation, j’ai pu mener mes séances en ayant le temps et sans une certaine forme de pression notamment dans les résultats, même si on s'en met toujours en tant qu’entraineur puisqu’on déteste perdre. On a toujours envie que l’équipe et que les joueurs progressent mais la formation c’est autre chose. C’est aussi la formation du joueur que ce soit en dehors et sur le terrain donc ça laisse le temps malgré tout de pouvoir faire ton travail avec plus de sérénité.
Laurent Batlles : "Après le maintien en N2, j’avais déjà prévenu tout le monde ici, que si j’avais la possibilité d’avoir une équipe première de niveau N1 ou L2, j’allais franchir le pas"
En terme de coaching quelle différence fait-on entre un groupe professionnel et la formation ?
Les objectifs ne sont pas les mêmes. Souvent il y a l’aspect collectif et il y a l’aspect individuel dans la formation parce qu’il faut amener le joueur à performer en équipe première. La différence, c'est qu'en professionnel vous êtes maître de vos choix. Quand vous êtes en équipe réserve par moment en fonction de ce qu'il se passe, vous avez l'entraîneur du dessus qui vous demande certaines choses. L’entraîneur du dessous des fois qui vous en demande d’autres. Vous êtes obligés de composer comme cela. Quand vous êtes entraineur de l’équipe première vous faites vos choix, vous devez les assumer et c’est vous qui mettez les choses en place.
Ce passé de formateur, tu l'utilises dans ton travail actuel et dans l’intégration des jeunes au groupe professionnel ?
Oui totalement. Déjà à Troyes ça se passait comme ça et je fais très attention à tout ce qui se fait en dessous, tout ce qui m’est dit. Parfois, c’est moi qui demande certains profils et parfois je demande à l'entraîneur de la réserve ceux qui méritent de venir. On ne voit pas tous les matchs, on ne voit pas ce qui se passe au quotidien donc on a des échanges pour savoir qui on fait venir. En soi, le fait d’être passé par la formation te permet de comprendre et de ne pas faire subir certaines choses que moi j’ai subies pendant ma carrière d'entraîneur à la formation.
Te serais-tu vu continuer à la formation ?
Non. Le jour où je suis parti de Saint-Étienne, à la sortie du maintien en National 2, dans l’année, j’avais déjà prévenu tout le monde ici que si j’avais la possibilité d’avoir une équipe première de niveau National 1 ou Ligue 2, j’allais franchir le pas. Essayer de faire quelque chose et de tenter de me lancer. C'était donc déjà prévu qu’à la fin de la saison, je parte.
Comment s’est passée cette transition avec ton arrivée dans une équipe professionnelle (Troyes) ?
Elle ne s'est pas trop mal passée pour moi parce que quand je suis arrivé à Troyes on a construit un groupe. Ça nous a permis d’avoir certains résultats. Il y a aussi la connaissance du club qui joue : quand on va ailleurs, on ne connait pas tout le monde, il faut apprendre à découvrir les rouages d’un nouvel environnement et les gens avec qui vous travaillez au quotidien. On crée autre chose on essaye d’amener notre façon de faire et de voir le métier. Quand je suis arrivé à Troyes, j’avais une ligne de conduite par rapport à ce que j’ai appris, c’est aussi pour ça que c’était important d’avoir mon diplôme. Comment manager ? Comment parler ? Ensuite sur le terrain, vous prenez un peu plus d'expérience et vous avez votre personnalité de coach qu'il faut mettre en œuvre.
Laurent Batlles : "Quand vous avez des résultats en dents de scie, vous vous éloignez de l’humain alors qu’il faut s’en rapprocher. On s’en est rendu compte"
Il y a ce retour à Saint-Étienne l’été dernier avec un effectif à reconstruire. Quelle part représente le recrutement dans ton travail du quotidien ?
Je travaille avec Loïc (Perrin) particulièrement. Bien-sûr il y a la cellule de recrutement qui est de temps en temps ici et ailleurs sur l’observation d’autres matchs. Nous avons des réunions qui sont faites en visio et au club. Il y a des profils de joueurs que j’aimerais avoir qu’on peut faire parfois et d'autres fois qu'on ne peut pas faire, en fonction de l’aspect financier ou contractuel du joueur qui veut venir et des envies des joueurs. On a des discussions pour essayer de faire la meilleure équipe possible. Au départ c'est bien-sûr en fonction de mon profil de jeu, comment je veux voir les choses mais aussi les profils que j'estime importants dans notre équipe pour apporter le maximum de performance.
Avez-vous changé de façon de travailler entre le mercato estival et le mercato hivernal après ce début de saison délicat ?
Lors du mercato estival, il y avait encore beaucoup de joueurs qui étaient là, il a fallu attendre pour savoir qui partait, comment et quand. Ça a été un peu compliqué à mettre en place. On a essayé de travailler le plus sereinement possible, après il est vrai qu’il y avait des choses à améliorer et c’est pour ça qu'elles se sont améliorées pour le mercato hivernal.
Cet été il y a aussi l'arrivée de deux nouveaux membres dans le staff : un adjoint, un analyste vidéo. C’était un prérequis pour toi d’arriver avec des gens que tu connaissais pour travailler ?
Arriver dans un club tout seul, ce n'est pas du tout évident. Il me paraissait important d’arriver avec des personnes qui connaissaient à la fois ma façon de voir les choses sur le terrain mais aussi en dehors, parce que quand on gère un effectif on gère aussi un staff. Il faut que tout se passe bien à l'intérieur du staff et que chacun ait son rôle. Les gens qu’il y a aujourd’hui dans le staff, ce sont des gens avec qui j’ai vraiment envie de travailler. Il est vrai qu’au niveau de l’analyste vidéo (Romain Brottes) et de Manu' (Da Costa), avec qui j’avais déjà travaillé avant, on gagne du temps. Le fonctionnement qu’on a aujourd’hui, c’est un fonctionnement où l’on prépare les entrainements. Il y a Romain (Brottes) avec Sony (Vitulli) qui nous montrent les équipes adverses, on le fait en début de semaine pour justement que l'on travaille sur l’équipe adverse. C'est un fonctionnement qu’on avait besoin d’avoir, qui nous a fait gagner du temps sur le début de saison où il y avait pas mal de choses à penser. Il me paraissait important d’arriver à imposer un travail au niveau du staff comme je voulais le faire.
Sur le rôle d’adjoint plus précisément, sur quoi intervient Emmanuel Da Costa ?
Lui il s’occupe avec Benjamin (Guy) de toutes les séances d'entraînement. C’est lui qui propose les séances, après moi je valide parce qu’on regarde en fonction des consignes, en fonction de ce que cela donne sur le terrain. Des fois, il me dit : "j’ai prévu ça, qu’est-ce que tu en penses, comment tu vois la chose par rapport au match suivant ?". On essaye de changer souvent les entraînements sans proposer des éléments rébarbatifs aux joueurs et pour qu’ils réfléchissent à une autre manière de s'entraîner, avec d'autres consignes. C’est aussi pour qu’ils grandissent dans l’approche du football.
Ces entraînements, c'est quelque chose que tu vas piocher quelque part en particulier ?
On fait souvent des réunions avec le staff pendant les trêves internationales et à chaque fois, dans chaque domaine je leur demande d’être novateurs, d’essayer de chercher des idées pour nous amener et m’amener moi à réfléchir au niveau des entrainements. Au niveau des consignes, au niveau du nombre en infériorité, des déplacements, on essaye de trouver des choses pour qu’on puisse avancer.
As-tu reconsidéré ta façon de travailler après le début de saison de l'ASSE ?
Il fallait amener de nouvelles méthodes, moi, je n’avais pas encore vécu ces moments-là et ces échecs en tant qu’entraineur. Il fallait que je sois encore plus à l’écoute des joueurs et que les joueurs soient un peu plus à l’écoute du staff. On s'est rapproché, on a beaucoup parlé, il y a eu des choses qui ont été faites par la direction avec les changements de joueurs au mercato. Peut-être que nous aussi on a pris conscience de certains éléments pour aller en chercher d'autres. Chez les joueurs notamment dans l’aspect mental et dans l’aspect humain parce que ma façon de travailler c’est d’être dans l’humain. Néanmoins, quand vous avez des résultats en dents de scie, vous vous éloignez un petit peu de l’humain alors qu’il faut s’en rapprocher et on s'est rendu compte qu’il fallait aller les rechercher, être encore plus proche d’eux. Quand vous gagnez c’est plus facile.
On t'a senti pas mal touché après le match de Rodez (défaite 0-2). Est-ce qu'on se sent seul quand on est coach ?
Je n'étais pas seul. J'étais très proche, notamment de la présidence, mais aussi très proche des gens du club et de mon staff. Donc non, je n'ai pas eu l'impression d'être seul. Franchement, je savais que c'était un moment difficile parce que je n'arrivais pas à avoir, au niveau terrain, ce que je voulais voir. En fait, ça me pesait un petit peu parce qu'on travaillait, on mettait des choses en place, on essayait de trouver des moyens à la fois tactiques et techniques pour essayer de faire progresser l'équipe et je ne le voyais pas lors des matchs
Tu as des moments spécifiques lors des séances pour parler aux joueurs ?
Oui, j'essaye de parler pas mal avec eux. Ils parlent également beaucoup avec les adjoints. Pour autant, ce qui m’intéresse moi, c'est ce que je ressens au niveau terrain. Je parle avec eux de temps en temps dans le vestiaire, mais ça reste malgré tout des discussions informelles, sur la famille par exemple. Il faut créer des relations avec eux là dedans. Au niveau football, il y a des choses qui sont établies par mes adjoints de temps en temps et avec moi. J'essaye de ne pas intervenir de façon récurrente parce que, au bout d'un moment, plus personne ne vous écoute. Il faut que ce soit le plus tranchant possible pour eux et pas de façon : “Ah oui, il parle encore”. Au départ j'étais un peu comme ça à la formation et je me suis rendu compte que les joueurs de temps en temps, quand on parle trop, ils se disent qu'on ne fait que parler. Donc à un moment donné, il faut laisser faire vos adjoints. Quand j'interviens c'est justement parce que ça me plaît et parce que ça me paraît important et intéressant de le faire à ce moment-là.
As-tu d'autres rendez-vous avec les joueurs ?
Oui, il y a des moments où en fonction de ce que je vois sur certains matchs ou certains entraînements, je les prends en individuel dans mon bureau et on parle de ce que j'attends d'eux, mais aussi de ce qu'ils peuvent attendre.On a des rapports avec certains cadres obligatoirement, qui font passer les messages tout simplement. C’est le cas quand ils ont besoin de quelque chose ou quand moi j’en ai besoin. Ils vont demander un peu à tout le monde et en fonction des réponses, on dit oui ou on dit non. Des fois, on ne peut pas. Des fois, il faut être mesuré dans ce qu'on peut leur donner. Mais malgré tout, oui, il y a des cadres aujourd'hui qui font passer les messages au groupe.
À quel moment est donnée la composition d'équipe aux joueurs ?
Elle est donnée à la causerie. Alors, des fois, en fonction de comment vous travaillez tactiquement, les joueurs se disent : “oui, je vais jouer” ou “j'ai plus de chance de jouer que d’autres”. Mais autrement, je la donne à la causerie d'avant-match une heure et demie ou deux heures avant la rencontre. Des fois on essaye de brouiller les pistes parce qu'on ne veut pas trop donner l'équipe non plus. Si vous donnez l'équipe trop tôt il y en a qui se disent qu'ils ne vont pas jouer du week-end et qui ne travaillent peut-être pas de la même façon. De temps en temps, comme vous avez besoin de travailler certaines choses, ils savent vraiment s'ils vont jouer
On met quels éléments dans une causerie d'avant-match ?
La plupart du temps, je prépare ma causerie pendant un ou deux jours. J'ai des mots forts, des titres, des paroles sur le travail défensif et offensif, ce qu'on veut voir aussi pendant le match. l faut vraiment capter tous les sens du joueur, c'est-à-dire à la fois tout ce qui est cognitif et visuel. C'est tout aussi important de montrer que d'expliquer.
Laurent Batlles : "Un ingénieur en mathématiques est rentré dans la cellule de recherche. Il nous donne des billes supplémentaires, en plus du travail des analystes vidéo"
Ton langage corporel a beaucoup fait parler cette saison. Quel genre de coach es-tu pendant une rencontre ?
J'essaye d'être le plus naturel possible. J'essaye de montrer aux joueurs le plus de sérénité possible, même si par moment je bouillonne. Il y a des fois, ce n'est pas facile. Il faut montrer que dans chaque moment, on est quand même assez fort et qu'on est avec eux. Ce qui est important, c'est de vivre le match pleinement pour leur amener la meilleure image possible. Maintenant, à Geoffroy-Guichard c'est difficile de parler avec celui qui est au bout du terrain. Il y a donc des moments où tu es obligé de faire passer les messages et tu ne peux pas intervenir directement dessus. Mais en soit, je vis le match à fond.
Quelques glacières en ont fait les frais...
Oui, totalement oui. Et mon pied aussi par moment (rires).
Comment travaille t-on sur l'adversaire ? Reste-t-il finalement une part dans le football actuel qui n'est pas contrôlée ?
Un ingénieur en mathématiques est rentré dans la cellule de recherche. Il nous donne des billes supplémentaires, en plus du travail des analystes vidéo. Il y a une base de données sur l'équipe adverse et sur sa forme actuelle. On peut ensuite aller chercher individuellement sur le profil d’un joueur ou d’un autre. C'est Manu (Da Costa) qui s'en occupe, notamment sur des points spécifiques. Ensuite les analystes vidéos travaillent avec un site qui leur permet d'avoir toute une base de données et de tirer de gros enseignements sur l'équipe adverse. Il n'y a pas que de la vidéo en fait, ils vont me sortir tout un rapport data avec la façon de jouer et les meilleurs joueurs de l'équipe que l’on affronte. Comment ils se situent offensivement, défensivement, là où ils perdent des ballons. Il y a tout un panel de stats, après, c'est l’analyse que nous en faisons. C'est ce que je disais tout à l'heure, le rapport que j'ai avec Romain (Brottes) depuis des années fait qu’il sait ce que je veux vraiment savoir sur l’équipe adverse. Tu fais beaucoup de tri parce que sur les stats on peut tout faire parler. À la sortie de ça, il y a la présentation vidéo qui est faite, ça dure à peu près une heure et derrière on prépare l'entraînement du lendemain en se disant voilà comment ils jouent, qu'est ce qu'il faut qu'on fasse pour pour les mettre en difficulté.
Au quotidien, en dehors de l'adversaire, la data on l'utilise du côté de l’AS Saint-Étienne ? On sait qu'il y a même des clubs qui s'en servent pour recruter ?
Ici, ils s'en servent aussi pour recruter. Après, je pense qu'il faut qu'ils l'améliorent parce qu’au fur et à mesure que les gens sont arrivés, il y a des choses qui se font en plus. Mais je sais que sur le recrutement hivernal notamment, ça a été utilisé pour certains joueurs.
Depuis le début de l'année, il y a une très belle série du côté de l'AS Saint-Étienne. Elle est aussi due à un changement tactique gagnant. Qu'est-ce qui l'a motivé ?
Ce qui l’a motivé, c'était surtout la connaissance des joueurs et la façon dans laquelle on avait recruté et comment on voulait mettre quelque chose en place. Il est vrai que le fait d'avoir recruté certains joueurs à certains postes, nous permet aujourd'hui de pouvoir jouer dans ce système-là. Je pense aussi, que les joueurs se sont appropriés ce système et ils ont réalisé de bons résultats avec. Ils se sont dit qu’en continuant comme ça, on pouvait faire des matchs intéressants. Ça permet de gagner des matchs en performant à la fois collectivement et individuellement. Il y a eu cette prise de conscience à la fois du staff, parce que moi je voulais vraiment mettre quelque chose en place et à la fois des joueurs qui derrière se sont appropriés le système.
Laurent Batlles : "Jouer à trois derrière ça crée du déséquilibre, après il faut assumer la prise de risque. Pour autant, pour moi le système à trois n'est pas un système défensif, je le vois plus comme un système offensif"
Carlos Bilardo, ancien joueur et sélectionneur argentin se considère comme le père fondateur du 3-5-2. Il a déclaré : "Jouer à trois derrière, c'est très risqué, cela donne du beau jeu si c'est bien assimilé, mais sans pratique, c'est difficile que ça fonctionne." Es-tu d'accord avec ça ?
Oui de toute façon jouer à trois derrière ça crée du déséquilibre. C'est vrai qu'après il faut assumer la prise de risque. Pour autant, pour moi le système à trois n'est pas un système défensif, je le vois plus comme un système offensif. Maintenant, il y a beaucoup de choses qu'on met en place au niveau de notre animation, justement pour la prévention par rapport à tout ce qui se passe défensivement, il a totalement raison. Mais aujourd'hui, où se situer ? Moi, je préfère que mes joueurs aient la possession et qu’ils tentent de faire mal à l’adversaire plutôt que d’attendre et subir. C'est ma position même si c'est vrai que par moment, oui, il y a une prise de risque. Elle doit être assumée et elle n'est pas faite de façon innocente parce qu'il y a des choses qui sont travaillées pour justement essayer de ne pas être en déséquilibre.
Avec le recul, te dis-tu qu'en début de saison les joueurs n'étaient pas prêts pour ce schéma ?
Mais vous l'avez vu. J'ai commencé à essayer de jouer comme ça, puis après j'ai changé et on a essayé d’y revenir. Ils n'étaient sûrement pas prêts, et puis je n'avais peut-être pas les joueurs pour pouvoir jouer dans cette animation. Il a fallu s'adapter à ça aussi, essayer de changer certains systèmes. Peut-être qu'aujourd'hui ça marche aussi parce qu’on avait commencé à le faire en début de saison de façon un petit peu subtile, mais sans vraiment le faire directement.
Est-ce qu'on pense, quand on est entraîneur, que quoi qu'il arrive, quels que soient les choix, on a finalement toujours tort au regard des gens ?
Il y a beaucoup d'entraîneurs en France, il y en a 60 ou 65 millions. Quand tu regardes des matchs, chacun a sa façon de voir le football. Certaines personnes vont vous dire que c'est bien, d'autres vont vous dire non, moi j'aurais peut-être pas fait ça. Aujourd'hui, j'essaie de regarder beaucoup de matchs pour comprendre un maximum. On essaye de faire évoluer le système. Il ne faut pas croire que dans un système, il faut rester figé parce que de toute façon, les équipes adverses vous regardent de plus en plus, elles savent comment vous jouez, comment vous allez sortir le ballon. Il faut trouver d'autres moyens de pouvoir mettre en difficulté les équipes adverses.
On va un petit peu parler de tes inspirations en tant qu'entraîneur, est-ce que tu as des modèles en tant que coach ?
Alors je n'ai pas spécialement de modèles, mais par contre je regarde beaucoup de championnats. J’essaye dans certaines rencontres de m’approprier ce que je vois pour pouvoir le retranscrire avec le système et avec les joueurs que l'on a. Je regarde des équipes qui jouent notamment à trois derrière. J'ai même demandé à Sonny (Vitulli) de me faire des montages sur certaines équipes pour savoir comment elles défendaient et comment elles attaquaient en fonction de comment elles jouaient dans un système qui parfois est identique au nôtre. Ce n'est pas avoir la grosse tête que de ne pas avoir un modèle, c'est juste qu'en fait je regarde simplement les matchs et que je n'ai pas un entraîneur en particulier qui me marque. Je me sers de tout le monde.
Laurent Batlles : "Des choses vous font grandir chez tous les coachs, Giresse la technique, Galtier l’humain, Gourcuff le système, Halilhodžić la guerre. Giresse et Galtier sont les deux à qui je peux ressembler"
De quel coach te rapprocherais-tu le plus parmi tous ceux que tu as eu quand tu étais joueur ?
Quand j’ai commencé : Alain Giresse. C'était quelqu'un qui se basait beaucoup sur l'aspect technique au regard du joueur qu’il a été. Il ne laissait jamais la part à l'erreur en fait. Il a été très dur là-dessus et ça, ça m'a marqué. Ensuite c’est vrai qu’il y a eu Christophe Galtier sur ma fin de carrière. Christophe je l’avais déjà eu en tant qu’adjoint à Bastia dans une approche différente de celle de numéro un. C'est quelqu'un qui a évolué dans le comportement et dans l’humain. Dans ce qu'il fallait aller chercher je trouvais qu'il y avait des choses très intéressantes chez lui. C'est vrai que je me suis servi un petit peu de ce que faisait Gigi (Alain Giresse) sur l’aspect technique et humain chez Christophe. Après, j’ai côtoyé quelques entraineurs, Gourcuff a été important, mais ce n'était qu'un système. Vahid Halilhodžić a été important, mais c'était souvent que de la guerre. Il y a des choses aujourd'hui qui vous font grandir chez tous les coachs, qui vous font réfléchir, mais c'est vrai qu'au départ de ma carrière de joueur et peut-être à la fin, Giresse et Galtier sont les deux à qui je peux ressembler. Comme coach, sur l'aspect technique, j'ai du mal avec le fait qu'on rate certaines choses et dans l'aspect humain j’essaye de faire au mieux, Christophe m'a montré l’exemple là-dedans. Quand on voit les résultats qu’il a eu derrière, on se dit qu’il n’était pas dans le faux.
C'est encore des gens auprès de qui tu prends des conseils ?
Gigi je l'ai eu plusieurs fois au téléphone puisqu'en plus il est sélectionneur du Kosovo et Galette depuis qu'il est à Paris, je l'ai moins eu. Quand il était du côté de Lille et à Nice, oui, je l'ai eu de temps en temps au téléphone. Même avec Olek (Thierry Oleksiak, adjoint de Christophe Galtier), j'étais son adjoint ici et j'étais dans le staff avec eux. Après, en fonction de ce qui se passe dans les clubs et des calendriers, des fois on laisse les gens tranquilles.
Tu parlais tout à l’heure de ta consommation du football. Tu regardes des matchs tous les jours ?
Je regarde beaucoup de choses, oui. On a une plateforme aussi qui fait du codage, donc je regarde certaines des actions importantes de certaines équipes en fonction de comment elles jouent. Je regarde partout, même en MLS ou ailleurs. Une fois Blaise (Matuidi) m'avait appelé parce qu'il y avait un joueur qui jouait dans un club, il m'avait dit : "regarde", et quand tu regardes, ils jouaient à trois derrière. Tu regardes et tu te dis : "mais en fait comme ça aussi c'est pas mal". Je ne suis pas figé à quoi que ce soit, c'est une passion pour moi. Le fait de regarder des matchs et découvrir ce que font les autres et comment ils mettent leur jeu en place, c'est tout aussi prenant.
Sur ta table de chevet, il y a des lectures football aussi ?
Non, par contre après quand je rentre à la maison, j'essaye de couper un petit peu et d'être proche, à la fois de mes enfants et de ma femme. Je pense que dans ce métier-là, c'est là où il faut switcher vite parce qu'ils n'ont pas besoin d'avoir tes problèmes du quotidien, de ton travail. Enfin je pense que chacun est pareil. Quand vous rentrez chez vous, vous n'essayez pas tout le temps de parler de football. Donc il y a des moments où quand on rentre et que ça a gagné on est très content et tout le monde est content. Quand tu perds, c'est un peu plus compliqué, mais c'est là où tu dois faire la part des choses pour que justement chez soi, on reparte sur quelque chose de plus normal.
Est-ce que tu t'inspires parfois de ce qui se fait dans d'autres disciplines que le football ?
Je connais très bien le président du Fenix Toulouse Handball, parce que c'est un ami à moi. Et justement je voulais y aller, mais je n'ai pas eu le temps. J'ai demandé aussi pour rencontrer Ugo Mola à Toulouse au niveau du rugby. Donc en fait, j'essaie aussi de voir comment eux, arrivent à fonctionner. Alors des fois avec des effectifs pléthoriques, ou avec des effectifs un peu moins grands. Les autres sports, ça m'intéresse beaucoup. Je regarde tactiquement, ce qu’il se met en place, s’il y a des combinaisons. Je ne dis pas qu'on peut tout reproduire au niveau de notre sport, mais on voit qu'il y a des choses qui sont réfléchies et qui sont mises en place pour essayer de mettre en difficulté l'équipe adverse. Je suis un passionné de sport, donc en fait je regarde énormément de disciplines. J'en prends, j'en laisse. Je regarde également parfois les conférences de presse où j'écoute comment les entraîneurs parlent.
Laurent Batlles : "Je ne suis jamais arrivé à l’époque avec L’Équipe sous le bras parce que j’avais pris 3 ou 8… À un certain moment, tu te fais ta propre façon de voir les choses et ta propre image de ce que tu as envie de vivre."
La presse justement, quelle est ta relation aux médias ?
C’est à vous de me le dire (sourire). Moi je n’ai pas particulièrement de soucis avec les médias. J’essaie d’être le plus droit et le plus franc possible. Il y a des choses que je peux dire, d’autres que je ne peux pas dire. Pour autant, les sollicitations j’essaie plus ou moins de les accepter. Il y a des moments où on peut le faire et des moments où on peut moins le faire. Je n’ai pas de problèmes avec les médias.
Es-tu à l’aise avec la conférence de presse et est-ce un exercice que tu aimes ?
Oui je suis à l’aise même si on a toujours besoin de s’améliorer, de prendre de l’expérience là-dedans. Il ne faut pas se reposer sur nos lauriers. On a toujours besoin d’évoluer, la conférence de presse fait partie de mon métier. Il faut parfois qu’on évolue au niveau du football, ce sera pareil en conférence de presse, au niveau du langage et du sens de certains mots. On essaie de les préparer au mieux. De temps en temps, avec Joël (Gomes, attaché de presse) et Thomas (Granger, responsable communication du club) on en parle un peu avant. Je prépare aussi un peu les conférences de presse en amont de mon côté pour ne pas laisser part non plus qu’au hasard avec vous.
Regrettes-tu que certains sujets ne soient pas abordés en conférence de presse ?
J’en ai beaucoup parlé mais ce dont on parle là, sur l’aspect tactique, sur l’aspect football, sur l’équipe adverse aussi. Il est vrai qu’ici, l’équipe adverse ça ne compte pas beaucoup. On fait une conférence de presse pour parler du match et en fait on ne parle pas vraiment du match ni de l’équipe adverse. Il y a parfois des choses qui sont peut-être intéressantes à savoir et c’est une conférence de presse pour présenter un match.
Lis-tu ce qui se dit sur l’ASSE ?
Non. Ce n’est pas que cela ne m’intéresse pas, mais je me coupe un petit peu de tout. J’ai des revues de presse qui me sont envoyées mais j’essaie de couper un petit peu. J’essaie d’être le plus naturel possible, et si on se met à tout lire… Je ne veux pas avoir d’animosité en fonction de ci, de ça, de certaines vérités. J’étais comme ça en tant que joueur, je ne suis jamais arrivé à l’époque avec L’Équipe sous le bras parce que j’avais pris 3 ou 8… À un certain moment, tu te fais ta propre façon de voir les choses et ta propre image de ce que tu as envie de vivre. Ce n’est pas que ça m’intéresse pas mais pour autant, je ne peux pas me permettre de tout lire. Ce n’est pas pour dénigrer les gens, c’est qu’aujourd’hui je suis dans ce fonctionnement-là.
L’environnement médiatique est particulier à Saint-Étienne, pèse-t-il sur ton travail ?
Non, mon fonctionnement de travail je l’ai toujours gardé et j’ai toujours essayé d’être le plus droit et le plus franc possible avec tout le monde. Je pense que cela fait aussi partie de ce club-là comme d’autres clubs. Je l’ai vécu en jouant ici, ou encore à Bordeaux ou Marseille, où la médiatisation est très forte mais après je pense qu’il faut rester très droit et essayer d’apporter la vérité de ce qu’on représente, ne pas jouer un rôle. Je ne suis pas là pour faire le comédien, pour jouer un rôle. Je suis juste là parce que je suis entraineur d’un club très important dans la sphère footballistique nationale.
Malgré la forme du moment, on ne te voit pas aller célébrer avec les supporters après les matchs. Pour quelles raisons ?
Est-ce-que c’est vraiment ma place d’y aller ? Je pense que les joueurs aujourd’hui vivent les choses pleinement avec les supporters. J’ai joué ici et je n’ai pas vu Christophe (Galtier) ou autre aller le faire. Je ne sais pas ce qui est le mieux ou pas. Je ne peux pas vous dire, je l’ai fait en tant que joueur (sourire), est-ce-que je dois le faire en tant qu’entraîneur ? Je ne sais pas. On le fera peut-être plus tard parce que cela me paraîtra aussi naturel. Pour l’instant, la part en revient aux joueurs. Cela ne me paraît pas pour ma part important, je laisse les joueurs le vivre pleinement. Parce qu’à partir du moment où j’y vais, il faut que tout le staff vienne avec moi aussi, parce qu’ils travaillent avec moi au quotidien.
Laurent, que pouvons-nous te souhaiter à toi et ton équipe pour cette fin de saison ?
Juste de continuer à avancer dans ce classement, prendre des points et continuer à mettre le jeu, l’intensité et ce qu’on met aujourd’hui en place. Bien-sûr en ayant le plus de résultats possibles. Dans ce que mettent les joueurs dans l’investissement et les valeurs depuis quelques temps, c’est ce qui me convient le plus.
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