🚨Exclu : tribunes, supporters, ASSE, rencontre avec P. Barthélemy

Stade | Publié le par Joris | 23 commentaires

L'avocat Pierre Barthélemy, expert dans le domaine des tribunes et du supportérisme a accepté de répondre à nos questions. Nous sommes évidemment revenus avec lui sur les récents incidents qui ont émaillé le football et plus précisément sur la situation stéphanoise à ce sujet. Ce dernier fustige notamment la commission de discipline pour son acharnement envers l'ASSE. 

Bonjour Pierre, pour commencer comment expliquez-vous la recrudescence des incidents dans le football ?

Je n’ai pas d’explications personnelles sur ce sujet. En revanche, j’ai lu que les sociologues l’expliquent par deux raisons principales : 

  • D’abord par un effet de rattrapage après 18 mois d’absence et de frustration. Tout ressort d’un coup. Par exemple, les très regrettables bagarres (comme à Montpellier ou à Lorient) se seraient normalement étalées de manière épisodique sur plusieurs mois. Au cas présent, elles interviennent toutes en même temps car elles n’ont pas pu intervenir durant 18 mois. 
  • Ensuite, plus largement, les incidents que l’on constate un peu partout en Europe sont dus, selon les sociologues, à une tension latente dans la société après les confinements, couvre-feux ou instaurations de passes sanitaires. Ce sentiment un peu inconscient de réduction de certaines libertés, conjugué à l’excitation provoquée par un match, peut expliquer des comportements plus virulents et plus exacerbés qu’avant cette période "COVID". En conclusion, les sociologues estiment que c’est une situation davantage conjoncturelle que structurelle. A priori, les semaines et les mois avançant, on devrait retrouver davantage de calme et une diminution de l’intensité des incidents. 


"Ceux qui disent que ça n’existe qu’en France sont des personnes qui parlent sur le sujet en ne le connaissant absolument pas"

Ce n’est donc pas un fait qui se limite au football ? 

On constate que, dans d’autres pays, cela concerne d’autres sports. En Suisse, par exemple, ils ont des problèmes dans les patinoires. C’est davantage un problème de société qu’un problème de supportérisme. Le supporter n’est pas distinct du citoyen. Et, dans un stade, avec l’effet de groupe et la passion du match, les formes d’expression sont plus intenses. 


Pour vous ce phénomène est-il plus intense en France qu’ailleurs ? Le vieux serpent de mer de "l’exemple anglais" est souvent de sortie...

C’est complètement faux. Pour revenir à la Suisse, ils réfléchissent à interdire totalement les déplacements de supporters de football parce que les incidents sont, à leur échelle, plus intenses et graves qu’en France. En Allemagne, il y a eu des incidents autrement plus graves, avec notamment des dizaines de blessés chez les policiers et les supporters lors de bagarres, y compris dans des rencontres de quatrième division. L’Angleterre connaît ses plus gros incidents depuis de très nombreuses années (la finale de l’Euro à Wembley, rencontres de Premier League comme Leeds – Manchester United ou West Ham – Tottenham, des rencontres de Coupe d’Europe comme Leicester – Naples). De très grosses bagarres et de très gros incidents avec des blessés. J’ai vu qu’en Belgique également il y avait des tensions, c’est quelque chose que l’on retrouve un peu partout. Ceux qui disent que ça n’existe qu’en France sont des personnes qui parlent sur le sujet en ne le connaissant absolument pas et qui veulent plaquer une idéologie ou des idées sur un sujet dont elles ignorent tout. Un exemple caractéristique, c’est l’intervention de Geoffroy Garétier au Late Football Club. En réponse à l’envahissement isolé du terrain par un supporter, ayant couru vers Messi, lors de la rencontre #OMPSG, il a suggéré que chaque club fasse son propre Plan Leproux. C’est la démonstration qu’il ne maîtrise aucun des concepts qu’il évoque, qu’il assimile tous les incidents entre eux sans être capable de comprendre qu’ils relèvent de ressorts différents et appellent des réponses différentes. En quoi un plan, censé mettre fin aux tensions entre supporters d’un même club, avec la fin des associations de supporters et le placement aléatoire, pourrait éviter un comportement isolé comme celui de #OMPSG ? Geoffroy Garétier aime bien donner des leçons empreintes d’un fort mépris de classe, mais en réalité il ne maîtrise pas 1% du sujet.


"On voit bien d’ailleurs que les clubs qui se démènent pour cartonner leurs supporters ne bénéficient en fait d’aucune clémence."

Depuis plusieurs saisons des sanctions semblent être prises de manière très approximative, notamment au niveau des fumigènes. N'existe-t-il pas de barème clair ? 

Il n’y a pas de barème. On a vraiment le sentiment que c’est "au doigt mouillé". Il y a plein de paramètres qui sont pris en compte qui ne devraient pas l’être. Par exemple, la commission de discipline fait croire aux clubs qu’elle peut renoncer ou réduire les sanctions si les clubs portent plainte, a posteriori, de manière nominative contre leurs supporters ou qu’ils prennent des interdictions commerciales de stade (ICS). Mais, juridiquement, elle n’a pas le droit de faire. Juridiquement, dès que des incidents interviennent, la commission de discipline doit les sanctionner car les clubs sont soumis à une "obligation de résultat" et non pas "de moyen". C’est-à-dire que la commission ne peut pas retenir le fait que le club a fait tout ce qu’il pouvait pour éviter les incidents ou qu’il a tout fait pour cartonner ses supporters a posteriori ; parce que cela relève de "l’obligation de moyen". Avec cette "obligation de résultat", elle doit sanctionner uniquement en prenant en compte la gravité de l’incident. Tout ce qui intervient après ne peut pas être pris en compte par la commission de discipline. On est vraiment dans de la pure appréciation subjective selon la tendance médiatique du moment, selon l’humeur de la commission de discipline ce jour-là. On a absolument aucune lisibilité sur ces mesures donc c’est le flou complet. 

On voit bien d’ailleurs que les clubs qui se démènent pour cartonner leurs supporters ne bénéficient en fait d’aucune clémence. Le RC Lens a prononcé des ICS contre des centaines de supporters, dont certains ont uniquement mis un pied en bas de la tribune, pendant la mi-temps, avant de remonter. Ils avaient commencé à descendre uniquement car ils pensaient que des familles se faisaient agresser et voyaient que ni les forces de l’ordre, ni les stadiers ne venaient réellement mettre fin aux incidents. Pire, le RC Lens parle d’ICS de la durée maximale : 18 mois. Au final, le RC Lens a été sanctionné de deux huis-clos totaux : c’est extrêmement lourd.


Y-a-t-il tout de même une forme de cohérence dans ces décisions de la commission de discipline ? 

On voit bien que la commission de discipline est désormais coincée par sa propre politique. Pour lutter contre la pyrotechnie, dont elle hypertrophie la prétendue gravité, elle a pris les mesures les plus lourdes qu’elle pouvait prendre sans recourir aux retraits de points. Cette saison, les incidents sont infiniment plus graves et comme le spectacle pyrotechnique était déjà sanctionné d’un huis-clos, la commission de discipline a été obligée de retirer des points, au risque de fausser de plus en plus les résultats sportifs. À ce rythme-là, en cas d’incident très grave, si elle veut être cohérente dans la gradation des sanctions, elle devra aller jusqu’à l’exclusion d’un club du championnat ? On a le sentiment d’une fuite en avant : il y a de plus en plus de sanctions de plus en plus lourdes, ils ont le sentiment que cela ne marche pas (par exemple sur la pyrotechnie : l’utilisation a triplé à la suite de l’intensification des huis-clos) donc ils s’enferment dans une boucle où ils sont de plus en plus sévères. C’est contreproductif : avant quand on allumait dix fumigènes, il y avait par exemple 10 000€ d’amende. Donc on n’en allumait que dix et pas trente car on ne voulait pas que le club paye 30 000€ d’amende. Maintenant, qu’on allume dix fumigènes ou 500, le match suivant est à huis-clos. Alors pourquoi n’en allumer que dix ? Autant en allumer 1000. Et je ne parle même pas des mesures excessivement dangereuses consistant en la fermeture du parcage visiteurs à titre de mesure conservatoire ou à titre de sanctions. Le parcage visiteur n’est pas un droit au déplacement. C’est un outil de sécurité pour protéger les supporters des deux clubs en évitant qu’ils partagent la même tribune. En fermant le parcage, la commission de discipline n’interdit pas aux supporters visiteurs de venir. Elle interdit juste aux forces de l’ordre et au club qui reçoit d’utiliser les outils de sécurité dédiés. C’est totalement inepte. De même, quand on décide d’un huis-clos pour punir le club à domicile, on interdit aux supporters visiteurs des autres clubs de venir. Qu’est-ce qui justifie que les Clermontois soient privés d’un déplacement à Saint-Étienne alors qu’il n’y a rien à reprocher au club de Clermont ?


"Depuis maintenant trois ou quatre ans, c’est clairement l’AS Saint-Étienne qui pour moi subit les sanctions les plus disproportionnées"

On a un peu l’impression que l’ASSE est le « souffre-douleur » de la commission de discipline ces dernières années, est-ce la réalité ? 

Non, c’est aussi mon sentiment. C’est probablement Saint-Étienne qui, désormais, prend le plus cher pour la pyrotechnie. Le PSG et l’OM prennent cher aussi mais pour des incidents qui sont plus diversifiés. À Marseille, les incidents sont, ces derniers temps, plus récurrents qu’à Saint-Étienne. Pendant longtemps, le PSG était le club le plus sanctionné par la commission de discipline. Ensuite, l’OM a commencé à être très sanctionné aussi. Depuis maintenant trois ou quatre ans, c’est clairement l’AS Saint-Étienne qui pour moi subit les sanctions les plus disproportionnées, par rapport au nombre d’incidents et à la gravité des faits.


Comment l’expliquer ? 

Je n'ai aucune explication. Si je devais faire un pari, c’est que Saint-Étienne est une ville où les groupes Ultras sont très forts, très implantés dans la ville. Ils sont le poumon, au cœur de la culture même du club, comme à Lens par exemple. La commission de discipline a probablement le sentiment qu’elle n’arrive pas à mettre fin à la pyrotechnie à Saint-Étienne, donc elle se dit : "je vais m’acharner, je vais taper de plus en plus fort, je vais prendre des huis-clos, je vais mettre à genoux les supporters". Je pense qu’ils ont le sentiment que le stade Geoffroy-Guichard est un stade majoritairement composé d’associations de supporters, que c’est un stade qui leur résiste et qu’ils pensent que c’est un défi qu’il faut gagner. C’est mon sentiment mais je n’ai pas d’explication rationnelle. Objectivement, cela n’a aucun sens. Quand ce sont des jets de fumigènes sur des joueurs ou vers d’autres tribunes, c’est dangereux et c’est problématique. Il faut les sanctionner. Quand cela concerne de la pyrotechnie sans incident, uniquement des spectacles pyrotechniques pour illuminer un tifo ou fêter un but, on ne peut pas comprendre autant d’acharnement. Mais je ne suis pas aux auditions des clubs par la commission de discipline. Je ne sais pas comment les clubs se défendent. Je ne peux pas porter d’appréciation certaine. Cela dit, cela m’étonnerait que l’ASSE soit incapable de se défendre ou que d’autres clubs se défendent beaucoup mieux. Connaissant le sérieux et l’implication dans tous les travaux de dialogue, à l’échelle locale et à l’échelle nationale, d’une partie des membres du club, je sais qu’ils sont très rigoureux et très calés sur ces sujets.


"C’est à la justice de trancher avec des sanctions individuelles,  pas à la commission de discipline de jouer le justicier en punissant 30.000 personnes pour cinq personnes qui se sont mal comportées."

Selon vous, comment sortir de l’engrenage actuel ? 

Je pense qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ces phénomènes médiatiques qui sont somme toute assez éphémères. Le soufflé retombe très vite. Quand un club panique et se met à écarter 100 supporters de son stade pour calmer les médias, cela n’a aucun sens. Le temps qu’il prenne ces mesures, les médias se sont déjà calmés : il va se mettre à dos ses supporters en prenant des sanctions disproportionnées. Une sanction proportionnée n’est pas une sanction indexée sur le niveau de médiatisation mais sur la gravité réelle du comportement concerné. Concernant la commission de discipline, elle est manifestement imperméable à la réalité et à la raison. La LFP ne contrôle pas sa commission de discipline qui est autonome. Il est acquis que cette commission a décidé de s’acharner contre les supporters pour des faits de pyrotechnie ou certains incidents mineurs. La solution, c’est de persévérer dans le dialogue pour réduire le champ de ce qui peut être sanctionné. Les avancées sur les tribunes debout ou les expérimentations de pyrotechnie vont en quelque sorte normaliser le fait que l’on soit debout dans un stade ou qu’il y ait de la pyrotechnie. Cela va petit à petit affaiblir la légitimité des sanctions collectives de la commission de discipline tendant à fermer tout un stade pour 30 torches.


Concernant plus spécifiquement les violences, quels sont les leviers à actionner ? 

Ce sont les sanctions individuelles. Et celles prononcées par le juge judiciaire dans le respect des droits de la défense. Il faut également du dialogue : trop d’incidents sont la conséquence d’un défaut d’organisation. Quand on impose un trajet aux supporters visiteurs mais qu’on ne les escorte pas, il y a un risque de rencontres avec des personnes animées par des velléités belliqueuses. Autre exemple, sur le match Lens-Lille, on a perdu la compétence pour installer une séparation étanche entre la tribune locale et le parcage. Ce qui est certain, c’est que lorsque quelqu’un commet des violences, il doit en répondre devant la justice. La justice décide ensuite s’il est coupable et si son comportement justifie une interdiction de stade ou pas. C’est à la justice de trancher avec des sanctions individuelles ; pas à la commission de discipline de jouer le justicier en punissant 30.000 personnes pour cinq personnes qui se sont mal comportées.

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