🚨 Dossier : L'ASSE invendue et invendable ?

Club | Publié le par Tibo | 37 commentaires

Depuis désormais plus de cinq ans, la vie de l'AS Saint-Étienne est rythmée par une possible vente du club par son duo d'actionnaires à la tête de l'ASSE depuis l'été 2004. Un règne de bientôt 20 ans qui peine à trouver son épilogue.

À l'été 2017, l'AS Saint-Étienne décide de mandater la banque d'affaires Lazard pour trouver un actionnaire minoritaire. Le 15 mai 2018, le site officiel de l'AS Saint-Étienne annonce l'entrée en négociations exclusives entre Peak6 et les co-actionnaires du club. Une annonce soudaine, qui surprend mais qui laisse assez peu de place au doute, l'ASSE va changer de propriétaire, le communiqué officiel met en avant le sérieux du candidat au rachat : "PEAK6 est un investisseur global faisant preuve de passion dans ses investissements. PEAK6 possède une grande expertise dans le monde du sport et du football européen en particulier, étant actionnaire minoritaire de l’AS Roma en Serie A en Italie, de l’AFC Bournemouth en Premier League en Angleterre et également actionnaire majoritaire du club de Dundalk FC en Irlande."


Dix jours plus tard, le couperet tombe : "L'AS Saint-Etienne a décidé de cesser toute discussion et négociation avec le groupe américain Peak6. Les investissements prévus par Peak6 dans le club ne correspondent pas aux engagements pris de faire de l'ASSE un club pérenne et ambitieux. Les actionnaires actuels comme le club subissent un préjudice important liée à des engagements non tenus. Leur sentiment est que les valeurs historiques de l'ASSE n'ont pas été respectées." Premier épisode d'une série tragi-comique qui ternie largement l'image du club. 


Après une période d'accalmie, le 13 avril 2021, Bernard Caïazzo et Roland Romeyer annoncent officiellement la mise en vente du club. Une semaine plus tard, on apprend que le cabinet KPMG est mandaté par les actionnaires pour mener à bien cette mission. Les candidats sont nombreux à se présenter, mais peut atteindront la fameuse Data Room. La première approche est matérialisée par une LOI (lettre d'intention), généralement, cette étape est suivie d'une offre non engageante qui permet de préciser son intérêt officiellement. Cette étape aura scellé le sort de nombreux projets. Si les désaccords entre Bernard Caïazzo et Roland Romeyer sont connus de tous, plusieurs acteurs majeurs ou mineurs de ce processus de vente ont évoqué une vision commune pour les deux hommes, celle du prix de vente. Au début du processus, les actionnaires annoncent qu'ils ne discuteront pas en-dessous de 40M€ pour racheter leurs parts. Une somme qui ne sera jamais proposée par aucun acheteur potentiel. Certains donc, se font recaler dès cette offre non engageante, car les attentes financières des deux actionnaires sont trop ambitieuses. Outre la somme pour racheter les parts, c'est une enveloppe globale de 100M€ qui est demandée aux potentiels acquéreurs. Certains, comme un homme d'affaires basé en Suisse, disposant d'une enveloppe de 60M€ se font renvoyer grossièrement dans les cordes par KPMG, puis par l'un des actionnaires du club.  


Si les actionnaires et KPMG se sont confrontés à des belles promesses sans que les garanties bancaires ne soient amenées (Norodom Ravishak, Serge Bueno), ils ont aussi vu des projets solides sur le plan financier se présenter. Ainsi, le local Olivier Markarian, le milliardaire russe Sergei Lomakin, l'homme d'affaires américain David Blitzer ainsi que le duo Bodmer - Roussier (ndlr : bien que dans le cas de ce dernier projet, les garanties financières se sont avérées insuffisantes) ont pu aller au bout du processus de la Data Room. Si le processus lié à la Data Room est normalement très réglementé, toutes les informations n'ont pas été communiquées. C'est ce que dénonçait d'ailleurs Gilles Bellaiche (52 ans), fondateur et président de Financial, société mandatée par Olivier Markarian pour effectuer un audit du club, dans une interview accordée au Progrès en juillet 2022 : "Dès qu’on est rentré, on s’est retrouvé avec des informations récentes, c’est à dire 2020-2021, qui n’étaient pas disponibles. Beaucoup d’éléments que KPMG devait mettre à disposition. On imagine que c’est parce qu’ils ne voulaient pas trop dévoiler. Mais c’est difficile de vendre une voiture si on n’ouvre pas le capot pour voir le moteur… On était un peu en aveugle et on a dû faire preuve de finesse pour croiser les informations et détecter les risques éventuels. En cours de data room, on a adressé un rapport intermédiaire à notre client (Olivier Markarian) pour l’alerter sur les données stratégiques manquantes. Les réponses que l’on avait, c’était de dire “écoutez, quand vous ferez une offre ferme, on vous donnera plus d’éléments”. Mais on ne peut pas signer l’acte de vente et dire on vous montrera la superficie de la maison après."


Il semblerait par ailleurs que tous n'aient pas eu accès au même degré d'informations dans cette fameuse Data Room. C'est en tout cas ce qui ressort des échanges que nous avons pu avoir avec différents acteurs du dossier. Passé ce gap tant bien que mal, plusieurs offres sont arrivées sur la table, bien loin des espérances des co-actionnaires mais plus proches de la réalité économique du club. Si certains évoquent une offre ferme de Sergeï Lomakin, il est plus probable que le milliardaire russe poussé par Bernard Caïazzo se soit arrêté à la Data Room. Ce n'est en revanche pas le cas d'Olivier Markarian et de David Blitzer. Pour le premier cité, l'enveloppe était importante, de l'ordre de 100M€ comme espéré par les co-actionnaires. Pas de rachat de dettes comme John Textor du côté de Lyon mais du cash amené par des fonds personnels, ainsi que par des acteurs locaux et par Fuchs & Associés, qui gère le patrimoine de plus de 1 500 clients privés et fortunés au Luxembourg dont certains s'associaient donc à l'homme d'affaire drômois pour reprendre le club. Un projet qui n'ira pas à son terme malgré un soutien local fort, une enveloppe conséquente et la possibilité de pérenniser le club financièrement sur la durée. C'est du côté de l'offre formulée aux co-actionnaires qu'il faut regarder pour trouver la raison de cet échec. Une offre de 20M€ jugée largement insuffisante par les décideurs.


David Blitzer lui, arrive après que le processus de vente du club se soit terminé. En effet, les potentiels acheteurs avaient une date limite pour déposer leurs dossiers auprès de KPMG. Sans acheteurs jugés "sérieux" par la direction, les co-actionnaires acceptent d’ouvrir des discussions après date avec David Blitzer. L'homme d'affaires américain n'est pas un novice dans le milieu, il possède des parts dans de nombreuses franchises ou clubs. C'est donc un habitué des processus de rachat et/ou d'entrée dans le capital de clubs qui se présente à l'ASSE. Comme Peak6 avant lui, David Blitzer passe une étape supplémentaire dans le processus de vente, après avoir effectué une offre ferme, les co-actionnaires entrent en négociations exclusives avec le potentiel acheteur, une étape que n'a pas atteint Olivier Markarian. Au soir de la relégation en Ligue 2, les co-actionnaires du club publient un communiqué qui se veut annonciateur d'une vente prochaine du club : "Dans quelque temps, nous annoncerons une nouvelle importante concernant l'avenir du club et le nôtre. Une page essentielle de notre vie se tournera mais nous plaçons au-dessus de tout l'institution ASSE qui retrouvera très vite, nous en sommes convaincus, le chemin de l'élite." Il est bien entendu question du rachat par David Blitzer mais après 45 jours de négociations exclusives, un proche des actionnaires confie à l'AFP : "La période de négociation exclusive, qui avait débuté voici 45 jours, a pris fin à minuit dans la nuit de jeudi à vendredi sans aboutir à un accord. Elle n'a pas été prolongée". Si Roland Romeyer confie dans les colonnes du Progrès "qu'aucune offre ferme n’a été déposée dans les délais auxquels il (Blitzer) s’était engagé à nous la remettre", plusieurs sources confirment l'existence d'une première offre de 10M€ repoussée par les actionnaires de l'ASSE, puis une seconde de 15M€ qui restera sans réponse. Comme depuis le début de ce processus de vente, le problème ne semble pas venir de l'acheteur, mais du vendeur, qui propose son bien au-dessus de la valeur du marché. 


Dans ce dossier de vente du club, il convient de constater une chose. La quasi-totalité des potentiels acheteurs du club ont quitté fâché la table des négociations. Le comportement des actionnaires est souvent pointé du doigt (interventionnisme, volonté de rester dans l'organigramme et exigences financières démesurées) et dans plusieurs dossiers, les actionnaires ont annoncé entamer des actions en justice qui ne verront finalement jamais le jour (Peak6, Norodom Ravishak). En désormais plus de cinq ans, l'ASSE a endossé bien malgré elle, le costume d'invendable, alors que pratiquement tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 ont pu changer de main, ou accueillir un actionnaire majoritaire en leur sein. 


Au point mort durant toute la saison, la vente a fait un retour fracassant depuis quelques jours dans l'actualité du club évoluant désormais en Ligue 2. Les différents acteurs du rachat avec qui nous avons pu échanger ont tous évoqué un processus compris entre 6 et 12 mois pour acquérir un club. Pour acter la vente, il faudrait donc qu'un candidat passe les fameuses négociations exclusives, pour aller à la signature de la négociation comparable à celle d'un compromis de vente, puis au "closing" de la négociation et enfin à l'acte de vente, scellant la passation de pouvoir attendue de longue date. Les meilleures affaires étant celles qui se négocient dans la discrétion, un acheteur pourrait donc sortir du bois au terme de la saison. Si ce n'était pas le cas, pour espérer une vente rapide du club, il faudrait se tourner vers un profil rêvé par les co-actionnaires. Celui d'un milliardaire peu regardant sur les dépenses et donc sur les éléments comptables, jetant son dévolu sur le club du Forez. La descente sportive de l'ASSE n'a pas entamé la gourmandise des actionnaires, qui espéreraient encore 30M€ pour lâcher un club dont les actifs fondent comme neige au soleil.


La semaine dernière Guy Roux résumait cette vente espérée de l'AS Saint-Étienne. Dans des propos tenus à l'antenne de Europe 1, l'emblématique entraîneur de l'AJ Auxerre expliquait : "L'AS Saint-Étienne trouvera un acquéreur le jour où les deux que vous avez cités (Roland Romeyer et Bernard Caïazzo) seront d'accord vraiment [...]. Ils ont fait semblant depuis X années de vouloir s'en séparer tout en faisant tout pour le garder." Reste désormais à savoir combien de temps encore durera ce mauvais chapitre de la riche histoire de l'ASSE. 

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